Cour de Justice de l’Union Européenne, 25 octobre 2017, n°C-106/16, Polbud-Wykonawstwo.
Dans l’arrêt VALE rendu le 12 juillet 2012 (aff. C-378/10), la CJUE avait affirmé que la liberté d’établissement, reconnue aux sociétés par les articles 49 et 54 du TFUE, englobait l’opération par laquelle une société, constituée dans un Etat membre, se transformait en une société relevant du droit d’un autre Etat membre.
Dès lors, il est admis qu’une société peut transférer son siège social dans un autre Etat membre si elle respecte les conditions posées par ce dernier.
Cependant, la question qui se posait ici était de savoir si ce transfert pouvait ne porter que sur le siège statutaire.
La CJUE y répond par l’affirmative (CJUE, 25 octobre 2017, n° C-106/16, Polbud-Wykonawstwo), ce qui est assez logique dans la mesure où le droit de l’UE considère que le rattachement d’une société à un Etat peut résulter aussi bien du siège réel que du siège statutaire (le choix relevant de la compétence des Etats membres).
Autrement dit, une société peut parfaitement conserver son siège réel (et la localisation de son activité économique) dans un Etat tout en déplaçant son siège statutaire dans un autre.
Puisque cette opération se rattache à la liberté d’établissement, un Etat ne peut pas y faire obstacle ou la gêner en imposant la dissolution de la société transférée, à moins qu’une telle restriction à la liberté d’établissement soit justifiée.
Or, une restriction à la liberté d’établissement peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, à la double condition que ladite restriction soit, d’une part, propre à garantir la réalisation de cet objectif et, d’autre part, n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.
En l’espèce, deux objectifs d’intérêt général ont été vainement invoqués :
- D’une part, la liquidation de la société transférée est destinée à protéger les créanciers, les associés minoritaires et les salariés de celle-ci. La CJUE estime toutefois que cette obligation de liquidation va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif dans la mesure où elle s’applique de façon générale, « sans qu’il soit tenu compte du risque réel d’atteinte portée aux intérêts des créanciers, des associés minoritaires et des salariés et sans qu’il soit possible d’opter pour des mesures moins restrictives susceptibles de sauvegarder ces intérêts », notamment en offrant des garanties afin de préserver les intérêts des créanciers.
- D’autre part, la liquidation de la société transférée viserait à lutter contre les pratiques abusives. Toutefois, la CJUE estime que cette obligation de liquidation constitue une mesure disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi dans la mesure elle repose sur la présomption suivant laquelle le transfert du siège dans un autre Etat membre, afin de bénéficier d’une législation plus avantageuse, serait abusif, alors que cette opération ne constitue pas en soi un abus.
Cette décision est ainsi très favorable au law shopping en cours de vie sociale, et donc à la mise en concurrence des droits nationaux.
Elle pourrait aussi constituer une incitation en faveur d’une harmonisation des droits nationaux sur cette question : « combien de temps faudra-t-il encore attendre pour qu’une directive lève les derniers obstacles au transfert transfrontalier de siège social dans l’Union, en rapprochant les droits nationaux sur des questions aussi importantes en pratique que les formalités à accomplir ou la protection à apporter aux associés minoritaires et aux tiers dont les intérêts peuvent être affectés par l’opération ? » (T. Mastrullo, Droit à la transformation transfrontalière des sociétés dans l’Union : la CJUE passe la troisième !, BJS janvier 2018, p.19 et suiv.).
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne: 03/04/2018