On se souvient de l’arrêt Google Spain c/ AEPD rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) le 13 mai dernier et qui reconnaissait aux particuliers le droit de demander à Google, en qualité de moteur de recherche, que soient déréférencées des informations les concernant. En clair, il s’agit d’obtenir qu’elles n’apparaissent plus lorsque quelqu’un effectue une requête sur le moteur de recherche. A cette fin, Google a mis en ligne un formulaire[1] pour solliciter un déréférencement.
Le « droit à l’oubli » entre toutefois ici en conflit avec le droit à l’information, et une pesée des intérêts des uns et des autres doit être opérée selon des modalités précisées par la CJUE. Ainsi, celle-ci a indiqué que le droit au déréférencement devait prévaloir en principe, sauf si, « pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, […] l’ingérence dans ses droits fondamentaux est justifiée par l’intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l’information en question »[2]. En d’autres termes, il appartient au moteur de recherche d’apprécier si l’information revêt un caractère « personnel », et peut être retirée, ou si elle revêt un caractère « public » compte tenu par exemple du rôle joué par l’intéressé dans la société, auquel cas le droit à l’information doit prévaloir.
On a pu en déduire que l’Europe avait, ce faisant, abandonné à Google une partie de sa souveraineté[3], en conférant au moteur de recherche le pouvoir d’apprécier la distinction entre la sphère publique et la sphère privée. Il est certain que, en l’absence de contentieux concernant les décisions que prendront les moteurs de recherche, ce sont bien eux qui apprécieront et définiront la limite entre ces deux espaces. Ceci peut être d’autant plus source de difficultés que la culture américaine tend à rattacher la protection des données à un droit patrimonial, tandis que la culture européenne le rattache à un droit lié à la personne. En d’autres termes, le même mot pourrait bien ne pas avoir du tout le même sens selon que l’on relève de l’une ou l’autre culture, et l’on fera remarquer que Google, comme la majorité des grandes entreprises du numérique, relève de la culture américaine. L’appréciation qui sera faite pourrait donc restreindre la conception que l’on a du droit à l’oubli.
Mais le TGI de Paris[4] vient de limiter le domaine du pouvoir d’appréciation des moteurs de recherche, en décidant que ce pouvoir disparaissait lorsqu’un jugement avait qualifié de diffamatoires les propos référencés. Surtout, le TGI a ordonné, sous astreinte, un déréférencement mondial, et pas simplement sur Google.fr, au motif que l’on peut se connecter, depuis le territoire français, sur les autres terminaisons du moteur de recherche. Cette portée du déréférencement est conforme aux propositions de la CNIL, mais pourrait susciter un recours de la part de Google, afin de limiter l’obligation de déréférencement aux pages françaises ou européennes du moteur.
Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris
[1] https://support.google.com/legal/contact/lr_eudpa?product=websearch
[2] Le très intéressant rapport du Conseil d’Etat sur « Le numérique et les droits fondamentaux », spéc. p.186 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000541-etude-annuelle-2014-du-conseil-d-etat-le-numerique-et-les-droits-fondamentaux
Mise en ligne : 14/10/2014