Crim. 1er décembre 2020, n°20-82.078 (P+B+R+I)
Pour la Cour de cassation, la fourniture d’une preuve est en toute matière régie par un principe de loyauté. Malgré la généralité du principe, la portée de cette exigence n’est pas similaire en matière pénale et civile. En matière civile, depuis une jurisprudence initiée par la chambre sociale au début des années 1990, il est acquis que les enregistrements clandestins sont des preuves déloyales et donc irrecevables. La Cour de cassation a réaffirmé avec force cette solution dans le cadre du contentieux de la concurrence en refusant que la preuve d’une entente puisse être apportée par un enregistrement réalisé à l’insu des participants à cette entente (Cass., Ass. plén., 7 janvier 2011, no 09-14.316). En matière pénale, la loyauté revêt une portée moindre notamment parce qu’elle ne vaut qu’à l’égard des autorités publiques et de ses agents. À l’inverse, les personnes privées peuvent apporter librement la preuve d’infractions sans que l’on ne puisse leur opposer la déloyauté.
Une affaire particulièrement médiatisée a permis à la Cour de cassation de préciser la portée de la loyauté en matière de preuve pénale en déterminant le sort de l’enregistrement fourni par des journalistes à des enquêteurs grâce à une source dont l’identité est inconnue. Dans cette affaire, M. B. a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour avoir porté des coups à des manifestants à l’occasion du défilé du 1er mai 2018 en portant un casque de CRS alors qu’il n’en avait pas la qualité. L’une des interdictions posées dans le cadre de son contrôle judiciaire était notamment de ne pas rencontrer certaines personnes déterminées. Par la suite, Médiapart a diffusé un enregistrement prouvant la violation par M. B. des obligations issues de son contrôle judiciaire. Sur la demande des enquêteurs, les journalistes ont remis cet enregistrement aux autorités publiques tout en refusant de révéler leur source comme le permet la loi du 29 juillet 1881. Le débat s’est noué sur le point de savoir si le procès-verbal constatant le versement à la procédure de l’enregistrement devait ou non être annulé. Le mis en examen invoquait une telle nullité en avançant que l’origine inconnue de l’enregistrement empêchait d’apprécier sa conformité au principe de loyauté de la preuve.
Saisie de la question, la chambre criminelle confirme la décision de la chambre d’instruction qui avait refusé de prononcer la nullité du procès-verbal. Elle admet donc la recevabilité de l’enregistrement clandestin. Au soutien de cette conclusion, elle affirme que « les impératifs de loyauté et de légalité de la preuve ne s’appliquent pas aux journalistes, qui sont des personnes privées, tiers au procès, et que l’impossibilité de connaître l’origine des enregistrements sonores met en cause, non pas la régularité de la procédure, mais le contrôle de la valeur probante de ceux-ci ». Elle reconnaît ensuite qu’il n’est pas possible d’exclure que l’autorité publique n’ait pas participé à ces enregistrements. En d’autres termes, il n’est pas possible d’exclure que ces enregistrements aient été fournis aux journalistes par des agents de l’autorité publique. Toutefois, cette incertitude ne permet pas de rendre irrecevable l’enregistrement produit, dès lors que, malgré des investigations sérieuses, l’origine des enregistrements reste inconnue.
Le risque généré par une telle solution est d’inciter les membres de l’autorité publique à passer par des journalistes pour fournir des preuves qu’ils ne peuvent produire en leur qualité, sous couvert du secret des sources journalistiques. La chambre criminelle qui n’a pu ignorer ce risque a manifestement choisi de faire prévaloir d’autres considérations aux dépens de l’effectivité de la loyauté de la preuve en matière pénale.