La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres a marqué, à la suite de la loi du 9 décembre 2016 (dite Sapin 2), une nouvelle étape dans la consécration législative des obligations de compliance pesant sur les sociétés.
Codifiée à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce, cette loi oblige les entreprises dépassant un certain seuil à établir un plan de vigilance permettant d’identifier les risques et de prévenir « les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement », qui découlent des activités de la société, de celle de ses filiales et ses sous-traitants ou fournisseurs.
Pour l’instant, cette obligation de vigilance n’a qu’une assise nationale. Cette configuration pourrait évoluer, ce qui apparaît cohérent au regard des sociétés concernées : il s’agit de sociétés dépassant une certaine taille et donc ayant bien souvent une activité transnationale.
Dans une résolution du 10 mars 2021, le Parlement européen a fait part de sa volonté de consacrer – à l’instar du modèle français – une obligation de vigilance au sein du droit de l’Union européenne. À cette fin, un projet de directive en vue d’instituer cette obligation accompagne cette résolution.
Si le texte est conçu sur le modèle du droit français, sa portée ne devrait a priori pas générer d’obligations nouvelles pour les sociétés nationales. Il faudra néanmoins attendre la version finale du texte pour en être certain.
En cas de manquement à leurs obligations, les sociétés visées par l’article L. 225-102-4 engagent leur responsabilité civile et peuvent être tenues de réparer les dommages causés. Conformément à la logique présidant à la compliance, le législateur offre une action permettant de prévenir la survenance des dommages.
Il est en effet prévu que lorsqu’une société est mise en demeure de respecter ses obligations et « n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter » (article L. 225-104-2 C. com.).
Quelle est donc cette « juridiction compétente » visée par le texte ? À défaut d’indication textuelle, une hésitation était permise entre le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire. Cette question procédurale a justement été récemment tranchée par les juridictions du fond.
Reprochant un défaut de vigilance à la société Total du fait des activités de l’une de ses filiales ayant une activité d’extraction de pétrole en Ouganda, des ONG avaient mis en demeure cette société de satisfaire à ses obligations de vigilance. Face à son absence de réaction, ces associations l’ont assignée devant le tribunal judiciaire de Nanterre, dont Total a contesté la compétence.
Cette juridiction, (TJ Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2020, n°19-02833) suivie par la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 10 déc. 2020, n° 20-01692 et n°20-01693), a statué dans le sens de la compétence du tribunal de commerce.
Ces juridictions ont en effet estimé que le devoir de vigilance se rattache au fonctionnement des sociétés commerciales, ce qui entraîne la compétence du tribunal de commerce sur le fondement de l’article L. 721-3 2° du Code de commerce. Le tribunal de commerce est donc compétent pour prononcer une injonction en cas de manquement au devoir de vigilance.
Reste maintenant à déterminer quelle juridiction sera compétence pour statuer sur une action en responsabilité intentée pour manquement aux obligations de vigilance !