Alors que les assemblées générales touchent à leur fin, l’heure est au bilan. Le cru 2022 aura incontestablement été agité par la question climatique. Outre le blocage de la tenue des assemblées par des militants pro-climat, les résolutions d’assemblée générale relatives au climat ont particulièrement été mises sous le feu des projecteurs, tant par la presse économique que par la doctrine.
Suivant une pratique initiée à propos de la rémunération des dirigeants sociaux (say on pay), certaines grandes sociétés ont en effet décidé de soumettre au vote de leurs actionnaires des résolutions dites « climatiques ». Bien que protéiformes, ces dernières ont en commun de faire état des mesures qu’entendent adopter les organes dirigeants afin d’aligner l’activité de la société avec l’objectif de préservation du climat, et notamment la lutte contre le réchauffement climatique. Initiée à l’origine par un fond activiste anglais, la finalité poursuivie par cette pratique est – à l’instar du say on pay – d’inciter les dirigeants à adopter des politiques climatiques ambitieuses, sous la menace d’une désapprobation actionnariale. Néanmoins, à la différence du say on pay – qui est réglementé et contraignant depuis la loi dite Sapin 2 de 2016 – un vote négatif des actionnaires n’entraîne, pour l’heure, qu’un risque réputationnel puisque les dirigeants ne sont pas tenus de le prendre en compte et de modifier leur politique climatique. Le say on climate a été transplanté au sein des sociétés françaises à partir de 2020 et a, sans aucun doute, vocation à se généraliser. Alors que le droit des sociétés français et européen est silencieux, des interrogations juridiques – que l’on pouvait déjà déceler – se sont confirmées cette année. Le cas emblématique de la société Total illustre les deux principales interrogations qui ont émergé et qui pourraient donner lieu à une intervention législative.
C’est tout d’abord bien avant l’assemblée générale de Total, qui s’est tenue le 25 mai, que la bataille climatique a débuté. Le premier point d’achoppement a en effet concerné les entités pouvant être à l’origine du dépôt d’une résolution climatique. Plusieurs actionnaires minoritaires avaient en effet tenté de soumettre leur propre résolution à l’assemblée générale. Cette tentative s’est heurtée à une fin de non-recevoir au motif que l’inscription de ce type de résolution à l’ordre du jour relèverait de la compétence exclusive du conseil d’administration et ne pourrait, dès lors, appartenir aux actionnaires. À l’appui de cette argumentation est invoqué un arrêt de 1946 dit « Motte » consacrant le principe de hiérarchie des organes sociaux. La question agite donc doctrine et pratique : la question climatique relève-t-elle de la seule compétence du conseil d’administration ? La difficulté juridique est réelle du fait du silence des textes et l’enjeu de taille au vu des défis climatiques qui nous attendent et du rôle que sont appelées à jouer les entreprises dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Suite à ce refus, une seconde question juridique s’est faite jour. Les actionnaires qui s’étaient vu refuser l’inscription de la résolution à l’ordre du jour ont saisi l’Autorité des marchés financiers en lui demandant de contraindre le conseil d’administration à agir en ce sens. Bien que cette autorité de régulation se soit déclarée incompétente en invoquant la limitation légale de sa compétence (art. L. 621-1 du CMF), il n’est pas certain que le débat soit pour autant clos. Ces épisodes attestent que le droit des sociétés aura un rôle à jouer dans la lutte pour la préservation du climat. S’en saisira-t-il ?