À l’origine la RSE (responsabilité sociale des entreprises) était appréhendée comme une démarche volontaire des entreprises par laquelle ces dernières tiennent compte des enjeux sociaux et environnementaux, notamment en limitant les conséquences négatives de leur activité sur ces enjeux. Néanmoins, face à la montée en puissance des problématiques sociales et surtout environnementales, les idées véhiculées par la RSE tendent de plus en plus à être réceptionnées par le droit. Depuis une vingtaine d’années, les dispositifs juridiques dont la finalité est de contraindre ou de fortement inciter certaines entreprises à adopter une posture responsable et citoyenne se multiplient. En matière de RSE, notre droit national a largement devancé l’Union européenne en adoptant des dispositions contraignantes en matière d’égalité homme-femme au sein des sociétés, en matière de transparence extra-financière ou encore en matière de vigilance. L’Union européenne est toutefois en passe de rattraper son retard comme l’illustre les chantiers législatifs suivants.
Le premier texte adopté par les instances européennes et publié au JOUE le 16 décembre 2022 est la directive modifiant le règlement (UE) n°537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Ce texte vient remanier une directive du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières, qui a été transposée au sein des articles L. 225-102-1 et L. 22-10-36 du Code de commerce. Selon ces textes, certaines sociétés de grande taille sont tenues d’établir une « déclaration de performance extra-financière » contenant des informations précises sur la façon dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité. Aucune obligation directe tenant en l’adoption d’une politique RSE ne découle de ce texte puisqu’il ne s’agit que d’une obligation de communiquer sur la politique RSE éventuellement mise en place. Néanmoins, comme elles sont par ce biais exposées à la sanction du marché, des consommateurs et des investisseurs, les sociétés visées sont fortement incitées à agir en ce sens. La directive CSRD conforte le dispositif existant en l’étendant et en l’approfondissant. Il s’agit notamment de lutter, selon une expression à la mode, contre le greenwashing en imposant à certaines entreprises une communication plus large et plus fiable sur leurs données extra-financières. Par rapport à la précédente directive et à l’actuel droit français, un nombre accru d’entreprises est concerné par ces obligations de publication. De façon notable, les entreprises étrangères atteignant un certain niveau de chiffres d’affaires au sein de l’Union européenne et y ayant installé une filiale ou une succursale seront soumises au dispositif. Des informations nouvelles seront requises et leur teneur sera davantage standardisée. Parmi les apports notables, signalons l’obligation pour les entreprises visées de préciser les plans définis afin d’assurer la compatibilité de son modèle et de sa stratégie commerciale avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré conformément aux accords de Paris. La directive généralise enfin l’obligation de certification par un organisme indépendant des informations extra-financières fournies. Il reste désormais deux défis à relever : celui de la transposition et surtout celui de la mise en œuvre de ces obligations par les entreprises nouvellement visées.
Le second texte avait déjà été évoqué dans cette rubrique mais des incertitudes quant à son adoption planaient encore. Il s’agit de la directive « Women on board » visant à imposer des quotas de femmes au sein des conseils d’administration des sociétés cotées implantées dans l’Union européenne. Elle a enfin été adoptée fin novembre et publiée au JOUE (Directive (UE) 2022/2381 du Parlement européen et du Conseil du 23 novembre 2022 relative à un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes parmi les administrateurs des sociétés cotées et à des mesures connexes). Il aura fallu plus de dix ans à ce texte pour voir le jour alors qu’au niveau national la loi Coppé-Zimmerman de 2011 concernant toutes les sociétés anonymes a fait ses preuves et qu’une loi de décembre 2022 (dite Rixain) a étendu les exigences de parité à d’autres instances dirigeantes que le conseil d’administration.
Signalons enfin que les négociations avancent concernant la proposition de directive relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Le Conseil de l’Union européenne a publié fin novembre 2022 une Orientation générale présentant un texte de compromis. Si certaines associations y décèlent à juste des reculades notamment à propos des sociétés visées, ce compromis sur un sujet hautement politique est un sérieux gage dans le sens de l’adoption prochaine d’un texte imposant un devoir de vigilance aux sociétés européennes et étrangères ayant une activité significative au sein de l’Union européenne.