Placement de l’enfant après un accouchement sous X et revendication du père à s’occuper de l’enfant : où situer l’intérêt de l’enfant ? On a vu que faute d’une reconnaissance dans les deux mois suivant la naissance de l’enfant, celui-ci devenait pupille de l’Etat et était placé par les services départementaux.
En l’état du droit positif, l’intérêt de l’enfant à disposer d’un foyer stable justifie de repousser les demandes d’un père biologique à élever son enfant s’il a omis de faire une déclaration prénatale de paternité. L’intérêt de l’enfant justifie sans doute de sacrifier les droits du père biologique, si l’on considère que ces prérogatives ne lui sont confiées que dans l’intérêt de l’enfant. Mais l’intérêt de l’enfant n’est-il pas d’être élevé par son père biologique ? N’est-ce pas la préférence donnée à la filiation biologique qui a fondé les réformes contemporaines du droit de la filiation, sous l’influence du Doyen Carbonnier, et qui continue d’insuffler la jurisprudence de la Cour de cassation[1] ? La filiation biologique n’est pas une possibilité, un choix ; elle s’impose à nous, à l’enfant comme à la science. La science peut participer à « faire » un enfant, mais elle ne peut pas le créer ex-nihilo. L’enfant non plus ne choisit pas son père ; il s’impose à lui. Le caractère biologique de la filiation, si contesté aujourd’hui, vient faire obstacle à la toute-puissance de l’homme[2] ; elle est le propre de la condition humaine, faite de limites[3]. Nier cette exigence revient à méconnaître notre condition anthropologique et n’est certainement pas conforme à l’intérêt de l’enfant, qui a besoin de contraintes pour pouvoir se construire. C’est pourtant ce que fait la mère lorsqu’elle s’attache à dissimuler l’existence du père (même si ses motifs peuvent être légitimes, notamment pour préserver le secret de son identité). Et c’est aussi ce que fait le droit lorsqu’il valide cette situation, fût-ce pour assurer la paix des familles adoptantes. L’intérêt de l’enfant à sa filiation véritable doit primer sur les « droits » de ceux qui l’ont accueilli, et qui n’ont jamais existé que dans… l’intérêt de l’enfant.
[1] Voir le rapport de A.Pascal et M.Trapéro, Vérité biologique et filiation dans la jurisprudence de la Cour de cassation, 2004, https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2004_173/deuxieme_partie_tudes_documents_176/tudes_theme_verite_178/filiation_jurisprudence_6396.html
[2] Pour un point de vue plus général, V. J.-C. Guillebaud, La vie vivante, éd. Les arènes, 2011.
[3] J.-P.Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions : Entretiens avec Vincent Flamand, éd. Denoël, 2010 ; J.-P. Lebrun, Un monde sans limite : Suivi de Malaise dans la subjectivation, éd. Erès, 2009.
Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris
Mise en ligne : 17/12/2014