Consultation, par un avocat, de la messagerie personnelle de sa collaboratrice : Arrêt n°15-14557 rendu le 17 mars 2016 par la Cour de Cassation, Première Chambre Civile.
Depuis une vingtaine d’année, la jurisprudence a élaboré un ensemble de solutions en ce qui concerne l’usage de la messagerie personnelle du salarié sur son lieu de travail.
D’une part, elle a admis que le salarié ou le collaborateur puisse l’utiliser pendant le temps de travail pour entretenir quelques échanges personnels, à moins que cet usage soit excessif (Cass Soc., 18 mars 2009, n°07-44247).
D’autre part, après avoir d’abord interdit à l’employeur de prendre connaissance des courriels étiquetés « privé » ou se trouvant dans un dossier faisant apparaître leur caractère privé (Cass. Soc., 2 octobre 2001, n° 99-42942), elle a ensuite permis à l’employeur de prendre connaissance des courriels du salarié à condition que celui-ci soit présent ou dûment appelé, sauf risque ou événement particulier (Cass. Soc., 17 mai 2005, n° 03-40017), avant d’établir une présomption du caractère professionnel des courriels des salariés (Cass. Soc., 9 février 2010, n° 08-45253).
Par conséquent, depuis 2001, le salarié peut empêcher son employeur de consulter ses courriels, et bénéficier de la protection de secret des correspondances, en plaçant ceux-ci dans un dossier intitulé « privé » ou « personnel » ou de toute autre manière permettant d’indiquer le caractère privé de son contenu.
Or, l’arrêt rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 17 mars 2016 (n° 15-14557) semble dispenser la collaboratrice de cette formalité. En l’espèce, l’une des collaboratrices d’un avocat avait laissé sa messagerie personnelle connectée et l’avocat avait non seulement consulté ses messages, mais les avait également produits dans le cadre d’une instance l’opposant à sa collaboratrice. La Cour d’appel avait estimé que la production de ces documents, qui portait atteinte au secret des correspondances, constituait un manquement au principe de délicatesse et, par conséquent, une violation de Règlement intérieur national de la profession d’avocat (ce qui explique qu’elle relevait de la 1ère chambre civile, et non de la chambre sociale de la Cour de cassation).
Elle est approuvée par la Cour de cassation au motif « qu’ayant énoncé que les messageries utilisées par les deux collaboratrices libérales étaient privées, s’agissant d’adresses personnelles « gmail » mises à la disposition des internautes par la société Google, l’arrêt relève que, si l’accès au serveur de l’opérateur internet s’effectuait au moyen de l’ordinateur professionnel, la boîte de réception électronique personnelle de la collaboratrice conservait néanmoins son caractère privé et que M. A… ne pouvait déduire de l’absence de fermeture de la messagerie, le consentement de sa collaboratrice à la consultation, hors sa présence, de son contenu ».
Autrement dit, la boîte de messagerie personnelle serait protégée même si aucune mention n’indiquait son caractère privé.
De plus et corrélativement, cet arrêt pourrait bien remettre également en question « la présomption de caractère professionnel des courriels échangés depuis son ordinateur pendant son temps de travail par le salarié, ou collaborateur (J. Huet, Un avocat ne saurait consulter la messagerie personnelle d’une collaboratrice bien qu’elle ait laissé son ordinateur connecté sur celle-ci, RDC, 1er juin 2017, n° 02, p.267).
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne: 17/07/2017