Le droit du numérique, qui peut être appréhendé comme l’ensemble des règles applicables aux grands acteurs de l’internet, constitue une discipline en franc développement, au cœur d’une dense actualité.
Sans surprise, l’ordre juridique de l’Union européenne est un important pourvoyeur de normes en la matière. La dimension supranationale des acteurs et la globalité du réseau internet justifient que la réglementation soit élaborée à un niveau supranational, a minima à celui de l’Union européenne. Deux règlements européens particulièrement attendus, dont l’ambition n’est rien de moins que de réguler le secteur du numérique, sont récemment parus au journal officiel de l’Union européenne : le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA), publiés respectivement les 12 et 27 octobre 2022. Dans une perspective d’harmonisation poussée, l’Union européenne a opté pour des règlements qui seront dès lors directement applicables dès leur entrée en vigueur ou aux dates précisées dans les textes.
Le DMA vise à s’assurer de l’existence d’une concurrence effective sur les marchés numériques et d’un accès équitable pour les différents acteurs. Ce règlement érige des règles de concurrence particulières au secteur en tenant compte de ses spécificités et de ses enjeux. Ce sont donc les structures et les marchés qui sont au cœur de ce texte Le DSA vise quant à lui à encadrer l’activité des prestataires. Dans ce cadre, des catégories nouvelles sont créées pour identifier et qualifier les différents protagonistes : les bénéficiaires du service avec une distinction s’ils sont mineurs ou non, les prestataires de services d’intermédiaire (fournisseurs d’accès, hébergeurs etc.), les plateformes et les moteurs de recherche. Des obligations, soit nouvelles, soit renforcées, pèseront désormais sur les prestataires de services d’intermédiaire et sur les plateformes. Il en va notamment ainsi en ce qui concerne le contrôle des contenus illicites et la modération de ces mêmes contenus. La question est, on le sait, particulièrement sensible car au croisement de la liberté d’expression et des restrictions indispensables au bien-vivre ensemble. À l’heure où certaines plateformes ont choisi d’institutionnaliser un organe spécialement dédié à cette tâche (l’Oversight Board de Meta, ex-Facebook) et où d’autres prônent pour une modération limitée au nom de la liberté d’expression, la réception et la mise en œuvre de ces nouvelles obligations seront particulièrement suivies.
Au niveau national, l’on peut évoquer la transmission d’une QPC dans une affaire opposant l’ARCOM et certains sites à contenu pornographique (TJ Paris, 4 octobre 2022, n° 22-55795). L’article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a autorisé le régulateur des télécommunications à mettre en demeure l’éditeur d’un service de communication au public afin qu’il prenne « (…) toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé », c’est-à-dire pornographique. En l’absence d’adoption desdites mesures, l’ARCOM peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin de faire ordonner aux fournisseurs d’accès internet de bloquer l’accès aux services visés ou de déréférencer le site. On mesure donc les enjeux attachés à l’application de ce texte. L’ARCOM s’en est saisi et a mis en demeure cinq sites pornographiques de mettre en place un contrôle de l’âge des visiteurs. Face à leur inaction, elle a saisi le président du tribunal judiciaire de Paris afin qu’il ordonne aux principaux fournisseurs d’accès internet français qu’il soit mis fin à l’accès à ce service. Dans ce contexte, l’un des éditeurs des sites concernés a formé une QPC afin de voir l’article 23 de la loi précitée et l’article 227-24 du Code pénal déclarés inconstitutionnels au motif de l’atteinte disproportionnée qu’il porte selon eux au principe de légalité des délits et des peines et à la liberté d’expression et de communication. La Cour de cassation devrait donc prochainement se prononcer sur le caractère nouveau et sérieux de cette QPC et, le cas échéant, la transmettre au Conseil constitutionnel.
Signalons enfin la parution du rapport annuel du Conseil d’État dédié cette année aux réseaux sociaux. La haute juridiction administrative tente notamment d’y cerner les enjeux et les opportunités de ces réseaux pour la puissance publique. Tout un programme !