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Annulation d’une convention d’honoraires entre un avocat et son client pour abus de dépendance économique


14 janvier 2022
Par Madame Cécile GRANIER, Maître de Conférences en droit Privé à l'Université Jean Moulin LYON III.



  • 2e, 9 déc. 2021, n° 20-10096

Parmi les consécrations notables de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 figure le vice de violence par abus d’un état de dépendance. Selon le nouvel article 1143 du Code civil, « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». Substantiellement, ce vice n’est pas nouveau puisque la jurisprudence avait déjà ouvert la porte à l’annulation d’un contrat pour abus de dépendance économique sous certaines conditions déterminées (Civ. 1e, 30 mai 2000, n°98-15.242), dont le caractère restrictif avait été largement souligné par la doctrine.

Dans une décision datée du début du mois, la Cour de cassation fait une application remarquée de ce vice à une convention d’honoraires unissant un avocat et son client. Le contrat litigieux ayant été conclu avant le 10 octobre 2016 – date d’entrée en vigueur de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats – les juges du fond puis la Cour de cassation se fondent sur « l’ancien droit » et notamment sur l’ancienne version de l’article 1111 du Code civil dédié au vice de violence.

Dans cette espèce, un avocat et l’AGS avait conclu une convention d’honoraires par laquelle la seconde avait confié au premier la défense de nombreux salariés devant le conseil des prud’hommes. Au stade de l’appel, l’AGS avait proposé à l’avocat la somme de 90.000 euros pour le suivi de 795 dossiers, ce que ce dernier avait accepté. Ayant été dessaisi, l’avocat avait alors saisi le bâtonnier afin qu’il procède à la fixation de ses honoraires en arguant de la nullité de la convention d’honoraires pour abus de dépendance économique. Le bâtonnier avait accueilli cette argumentation et fixé les honoraires à 350.000 euros. C’est l’ordonnance rendue par le premier président de la Cour d’appel confirmant la décision du bâtonnier qui était contestée devant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

Le premier apport de la décision est d’affirmer que le principe déontologique d’indépendance de l’avocat ne s’oppose pas à ce que ce dernier invoque un état de dépendance économique à l’égard d’un client. Il s’agissait en effet de l’argument central développé par l’AGS dans le pourvoi : l’impossibilité pour un avocat de se prévaloir d’un état de dépendance économique du fait de sa nécessaire indépendance. Pour la Cour, aucune incompatibilité ne peut être déduite de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1971 et « ces dispositions ne sauraient priver l’avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis à vis de son client, du droit, dont dispose tout contractant, d’invoquer un consentement vicié par la violence, et de se prévaloir ainsi de la nullité́ de l’accord d’honoraires conclu avec ce client. ».

Le second apport de la décision est d’apporter des éléments de réponse à une question persistante : quels éléments sont requis pour caractériser un vice de violence par abus de dépendance ? Outre l’état de dépendance qui est ici retenu par les juges du fond et qui n’est pas remis en cause par la Cour de cassation, faut-il démontrer un comportement abusif (élément subjectif) de la part de l’un des co-contractants ayant conduit à l’obtention d’un avantage manifestement excessif (élément objectif) ou seul le déséquilibre final et manifeste du contrat suffit à fonder la nullité de la convention ? En l’espèce, l’arrêt d’appel est validé dès lors qu’ont été caractérisés « l’état de dépendance économique dans lequel l’avocat se trouvait à l’égard de l’AGS, ainsi que l’avantage excessif que cette dernière en avait tiré ». Nulle mention de la nécessaire caractérisation d’un abus n’est donc faite, ce qui semble alléger le fardeau de la preuve pour le demandeur à la nullité. Reste maintenant à déterminer s’il s’agit d’une volonté délibérée de la Cour de cassation d’établir la jurisprudence en ce sens et si une telle solution est transposable au nouvel article 1143 du Code civil.





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