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Autonomie juridique des sociétés et responsabilité de la société mère vis-à-vis des salariés d’une filiale


16 juillet 2018



Responsabilité de la société mère : Cour de Cassation, civile, Chambre sociale, 24 mai 2018, Pourvoi n°16-22.881 :

En principe, l’autonomie juridique d’une filiale interdit que des éléments affectant celle-ci puissent être reprochés à la société mère.

 

Toutefois, autonomie ne signifie pas absence de lien, et notre droit reconnaît de plus en plus souvent un devoir de vigilance (V. la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres), ou bien une responsabilité sociale (Parmi une littérature très abondante, V. not. C. Malecki, Responsabilité sociale des entreprises, Perspectives de la gouvernance d’entreprise durable, éd. LGDJ, 2014), à la charge de la société mère, qui remet en cause cette séparation.

 

C’est le problème qui se posait dans l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 24 mai 2018 (Pourvoi n° 16-22.881) : des salariés avaient perdu leur emploi à la suite de la liquidation de la filiale et en imputaient la responsabilité à la société mère, sur le fondement notamment de sa responsabilité extracontractuelle.

 

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir retenu une faute de la société mère ayant concouru à la déconfiture de la filiale et à la disparition des emplois de celle-ci, au motif que la société mère « avait pris, par l’intermédiaire des sociétés du groupe, des décisions préjudiciables dans son seul intérêt d’actionnaire, lesquelles avaient entraîné la liquidation partielle » de la filiale.

 

Autrement dit, les décisions de la société mère auraient dû tenir compte de la situation de la filiale, ou plutôt n’auraient pas dû s’en désintéresser totalement au bénéfice de la prise en considération de son seul intérêt.

 

En l’espèce, ce sont les comportements suivants qui ont été reprochés à la société mère, laquelle était l’actionnaire principale du groupe auquel appartenait la filiale en cause :

 

  • Qu’à l’initiative de la société mère, la filiale ait financé le groupe pour des montants hors de proportion avec ses moyens financiers
  • Que le droit d’exploiter la licence de la marque ait été transféré à titre gratuit à une autre société du groupe, tandis que les redevances du contrat de licence étaient facturées à la filiale
  • Que la filiale ait dû donner en garantie un immeuble pour un financement bancaire destiné exclusivement à une autre société du groupe et que cet immeuble ait été vendu au profit des organismes bancaires
  • Qu’un stock important de marchandises gagées d’une société du groupe ait été vendu à la filiale, qui s’est ensuite vu opposer le droit de rétention du créancier du groupe
  • Que les facturations établies aux autres sociétés du groupe pour les services rendus par la filiale n’aient été que très partiellement acquittées.

 

Même si on peut relever que la Cour de cassation n’emploie pas le terme de « légèreté blâmable », contrairement à des décisions antérieures (Editions Francis Lefebvre, Quand la société mère engage sa responsabilité vis-à-vis des salariés d’une filiale, La Quotidienne, 7 juin 2018), il apparaît clairement que la filiale a fait l’objet d’un dépeçage pour le moins fautif (même s’il ne remplit pas exactement les conditions de l’abus de majorité, notamment l’exigence de contrariété aux intérêts des minoritaires).

 

Mais la Cour suprême se contente de caractériser une faute, sans exiger, contrairement à ce que soutenaient les auteurs du pourvoi, une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé.

 

Il faut dire que cette notion, caractéristique de la faute personnelle du dirigeant, qui permet de retenir sa responsabilité personnelle (et non celle de la personne morale), n’a pas lieu de s’appliquer à l’associé, qui n’agit pas au nom de la personne morale.

 

Il est donc responsable de toutes ses fautes, dès lors qu’elles ont causé un préjudice, sans pouvoir s’abriter ni derrière l’écran de la personnalité morale ni derrière les conditions très strictes posées par la jurisprudence pour retenir un abus de majorité.

 

  Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris

 

 Mise en ligne: 16/07/2018

 





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