Le juge territorialement compétent pour statuer sur une demande de mesure d’instruction in futurum est le président de la juridiction appelée à connaître d’un litige éventuel sur le fond.
On sait que la responsabilité des commissaires aux comptes, qui exercent une profession libérale réglementée, relève du TGI, voire du TI, dès lors que leur activité est exclusivement civile. Or, le juge territorialement compétent pour statuer sur une demande de mesure d’instruction in futurum, fondée sur l’article 145 du NCPC, est le président de la juridiction appelée à connaître d’un litige éventuel sur le fond (même si la Cour de cassation admet la compétence du président de la juridiction du lieu où doit être exécutée la mesure demandée, A.-M. Batut, Les mesures d’instruction « in futurum », Rapport de la Cour de cassation, 1999). Par conséquent, la mesure d’expertise sollicitée aux fins de mettre en cause cette responsabilité ne relevait pas de la compétence du tribunal de commerce, bien que le litige porte sur la valeur d’un apport en nature à une société commerciale (Cass. Com., 24 novembre 2015, n° 14-20163 ; J.-F.Barbiéri, Commissaire aux apports, responsabilité, mesure d’instruction in futurum : juge compétent, Bull. Joly Sociétés, 29 février 2016, n°2, p.106), mais de celle du TGI.
Il en aurait été différemment si le commissaire aux apports n’avait pas exercé son activité à titre individuel, comme dans l’espèce rapportée, mais dans une société commerciale et si l’action projetée visait à engager la responsabilité de la seule société commerciale. Dans ce cas, on assiste à un conflit de jurisprudence : pour la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. Com., 29 septembre 2009, n° 08-17205), la compétence relève des tribunaux de commerce, sur le fondement de l’article L.721-3 du Code de commerce, en raison de la commercialité de la société, sans égard pour l’activité exclusivement civile exercée par les associés ; pour la 2ème chambre civile, en revanche, la compétence relève des tribunaux civils car l’activité civile l’emporte sur la forme commerciale de la structure d’exercice (Cass. Civ. II, 6 mai 1997, n° 95-11857) (ce que le législateur a consacré pour les SEL, mais seulement en vertu d’une « dérogation », art. L.721-5 du Code de commerce). La décision rapportée ne permet pas de trancher ce conflit.
En revanche, si l’action projetée avait visé à engager tant la responsabilité du commissaire aux apports que celle de la société commerciale dans laquelle il aurait exercé son activité, c’est la compétence du TGI qui l’aurait emportée. Ce qui n’empêcherait pas, s’agissant cette fois de l’exercice de l’action au fond, d’avoir la prudence de diviser les procédures, en dépit de l’unité du litige (En ce sens, J.-F. Barbiéri, note préc., spéc. n°4).
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne:16/02/2016