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Divorce pour faute : vers la fin du devoir conjugal


25 février 2025
Par Marie Potus



  • CEDH, 23 janvier 2025, affaire H.W contre France, n°13805/21

 

Le mariage peut-il encore reposer sur des obligations conjugales d’ordre sexuel ? En condamnant, le 23 janvier dernier, la France pour avoir prononcé le divorce pour faute aux torts exclusifs d’une épouse qui refusait d’avoir des relations sexuelles avec son mari, la Cour européenne des droits de l’homme met fin à une vision archaïque du mariage – fondée sur une finalité procréative – et souligne que l’existence d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.

En France, l’article 242 du code civil permet aux époux de demander le divorce pour faute lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. Parmi ces devoirs : la communauté de vie. L’article 215 alinéa 1 du code civil prévoit en effet que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », notion souvent interprétée en jurisprudence comme incluant non seulement une communauté de toit, mais également une communauté de lit (Civ. 2e, 17 déc. 1997, n° 96-15.704). Vieille réminiscence du droit canonique, ce devoir conjugal impose donc une consommation du mariage, sans quoi le divorce peut être prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui s’y refuse.

C’est précisément sur ce fondement que, le 7 novembre 2019, la Cour d’appel de Versailles a donné gain de cause à un mari qui demandait, à titre reconventionnel, le divorce aux torts exclusifs de son épouse, qui refusait toute relation intime depuis 2004 pour des raisons de santé. Saisie, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’épouse dans une décision du 17 septembre 2020 (n° 20-10.564). Cette dernière a alors formé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, la liberté sexuelle et le droit de disposer de son corps.

Sans contester l’existence d’une ingérence, le gouvernement français soutient néanmoins qu’elle poursuivait un objectif légitime de « protection des droits d’autrui », au sens de l’article 8 §2. Il argue qu’il s’agissait « de protéger le droit des époux de mettre fin au lien matrimonial lorsque la poursuite de la vie commune n’apparaissait plus possible » (CEDH, 13 mai 2008, affaire N. N et T. A c. Belgique). L’argument reste toutefois discutable. En effet, et comme le souligne la CEDH, « le conjoint de la requérante avait la possibilité de solliciter le divorce pour altération définitive du lien conjugal » (§92), ce qui aurait permis de concilier les intérêts en jeu. Le gouvernement souligne par ailleurs que le devoir conjugal n’est pas absolu et qu’il n’a pas vocation à faire l’objet d’une exécution forcée. Il soutient, en outre, que les époux, en se mariant, ont librement consenti aux obligations matrimoniales, y compris à une communauté de vie susceptible d’impliquer une intimité conjugale. La CEDH rejette toutefois ces arguments, précisant que le consentement au mariage ne saurait valoir consentement automatique aux relations sexuelles futures et que la crainte d’une sanction, même civile, pourrait vicier ce consentement. La CEDH rappelle, en outre, que les États ont une obligation positive de prévention des violences domestiques et sexuelles en vertu de l’art. 12 de la Convention dites d’Istanbul. Certes, l’article 222-22 du Code pénal incrimine, depuis 2006, le viol entre époux. Toutefois, cette sanction pénale ne saurait suffire, selon la Cour européenne, à « priver d’effet l’obligation civile introduite par la jurisprudence » (§ 90).

La Cour en conclut que la réaffirmation du devoir conjugal et le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et constitue une ingérence injustifiée dans son droit à la vie privée (§93). Il s’agit d’un véritable progrès du droit, qui pourrait bien relancer le débat sur l’évolution du divorce pour faute et l’avenir du devoir de fidélité…





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