- C. soc., 13 septembre 2023, n°22-17340, n°22-17342, n°22-17638
Dans trois décisions datées du 13 septembre 2023, la chambre sociale a constaté la non-conformité des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du Code du travail au droit de l’Union européenne et a écarté, dans les affaires qui lui étaient soumises, l’application de ces dispositions. Ces décisions intéresseront bien sûr les spécialistes de droit social mais également, de façon plus large, tous les juristes car la Cour de cassation procède à un raisonnement notable en termes de sources.
Sur le plan du droit social tout d’abord, ces décisions remettent, en premier lieu, en cause l’article 3141-3 du Code du travail qui prévoit que « Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur ». Une lecture a contrario permet d’exclure l’acquisition de congés payés lorsque le salarié est en arrêt maladie. Une disposition spécifique est prévue en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. L’article L. 3141-5 du Code du travail permet, dans ces hypothèses-ci, aux salariés d’acquérir des congés payés même sans travail effectif, mais seulement pendant une durée ininterrompue d’un an. Une telle limitation est également, en second lieu, remise en cause.
La non-conventionnalité de ces dispositions s’explique par l’approche autre adoptée par le droit de l’Union européenne. La directive du 4 novembre 2003 (n° 2003/88/CE) prévoit l’acquisition de droits à congé payé sans distinguer selon que le salarié ait ou non effectivement travaillé. La CJUE a retenu une interprétation de cette disposition (art. 7) excluant qu’un texte ou des pratiques nationales puissent opérer des différences en se fondant sur l’existence ou non d’un travail effectif (CJUE, gde ch., arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10). En refusant d’appliquer les articles litigieux dans des contentieux relatifs à la comptabilisation des congés payés de salariés en arrêt maladie, la Cour de cassation s’aligne donc sur le droit de l’Union européenne. Avec ces décisions, les employeurs sont vivement incités à comptabiliser les congés payés acquis pendant les périodes d’arrêt maladie et les salariés concernés à faire valoir leurs droits.
Sur le plan des sources ensuite, ces décisions revêtent un intérêt car, opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation donne leur plein effet aux dispositions d’une directive mal transposée en se fondant sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La contrariété entre le droit national et le droit de l’Union européenne relativement à l’acquisition des congés payés n’est pas nouvelle puisque la Cour de cassation la dénonçait déjà dans plusieurs de ses rapports annuels. Pourtant, le juge français n’en avait, jusqu’à présent, pas tiré toutes les conséquences. La non-conformité concerne en effet ici une directive, qui ne lie que les États et n’est pas directement applicable au sein des ordres juridiques des États membres (article 288 du TFUE). Une directive ne saurait dans un litige entre particuliers permettre d’écarter une disposition nationale, même non-conforme au droit de l’Union européenne, faute d’effet direct « horizontal ».
Pour contourner cette difficulté, la Cour de cassation se fonde, et c’est nouveau, sur l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui prévoit un droit au repos des salariés, et notamment l’existence de congés payés annuels. Pourtant, si ce texte a l’avantage d’être directement invocable entre particuliers (CJUE, gde ch., arrêt du 6 novembre 2018, C-684/16), il ne dit rien sur les modes d’acquisition des congés payés. C’est dès lors une belle pirouette qu’effectue la Cour de cassation puisqu’elle rend substantiellement applicable une disposition qui figure dans une directive qui ne l’est pas, faute d’effet direct. Elle invite ainsi, de façon plus insistante, le législateur se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne.