Article L.465-3-6 du Code monétaire et financier :
La question du cumul des sanctions pénales et administratives est au cœur d’une résistance de la Cour de cassation française qui, terrassée en matière d’atteinte à la transparence des marchés, comme on va le voir dans ce billet (V. égal. K. Deckert, Non bis in idem : la chambre criminelle persiste et signe !, Lettre CREDA-société du 4 octobre 2017), risque bien d’être de courte durée dans les autres domaines (V. A. Quin, Entre sanction pénale et sanction disciplinaire, il faut choisir (2) : le cas des atteintes autres que celles relatives à la transparence des marchés, à paraître).
Rappelons, pour commencer, qu’en matière d’infraction boursière, la loi du 2 août 1989 a prévu une double répression, pénale et administrative : les délits boursiers sont réprimés par les juridictions pénales, tandis que les manquements administratifs sont réprimés par l’organe qui est devenu aujourd’hui l’AMF.
La validité de ce cumul avait été admise par le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi (DC n° 89-260 du 28 juillet 1989).
Elle avait également été reconnue les 28 janvier 2009 (Pourvoi n° 07-81674) et 8 février 2011 (Pourvoi n° 10-10.965) par les chambres criminelle et commerciale de la Cour de cassation, qui avaient estimé que ce cumul des sanctions pénales et administratives ne s’opposait pas au principe Non bis in idem (suivant lequel « Nul ne peut être poursuivi et sanctionné à raison de faits déjà jugés de façon définitive ») dès lors que ce principe, consacré par l’article 4 du Protocole additionnel n°7 à la CEDH, avait fait l’objet d’une réserve formulée par la France.
En effet, la France avait précisé, lors de la ratification de ce protocole, que la règle « Non bis in idem » ne s’appliquait qu’aux infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale (Reservations and Declarations for Treaty N°117 – Protocol N° 7 to the Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms).
Cependant, la CEDH a estimé, dans un arrêt du 4 mars 2014 (affaire Grande Stevens et autres c./. Italie) concernant l’Italie, qui avait posé une réserve similaire à celle de la France, que cette réserve n’était pas valable en application de l’article 57 §1 de la CEDH prohibant les réserves de caractère général. Dès lors, le cumul des sanctions administratives et pénales était interdit.
Toutefois, les juridictions répressives françaises faisant de la résistance, la Cour de cassation avait transmis au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité.
C’est ainsi que ce dernier avait décidé, dans une décision rendue le 18 mars 2015 (DC n°2014-453/454 QPC et n° 2015-462 QPC) sur le fondement du principe de nécessité des peines (article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen), que le cumul de sanctions prévu pour le manquement d’initié et pour le délit d’initié était contraire aux dispositions de valeur constitutionnelle.
Le Conseil constitutionnel avait toutefois précisé, dans une décision rendue le 14 janvier 2016 (DC n° 2015-513/514/526 QPC), qu’un tel cumul n’était pas nécessairement proscrit dans la mesure où « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction ; que, si l’éventualité que soient engagées deux procédures peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ».
Mais on verra que la CEDH a, quant à elle, une interprétation beaucoup plus large du champ d’application de la règle du non-cumul (V. A. Quin, Entre sanction pénale et sanction disciplinaire, il faut choisir (2) : le cas des atteintes autres que celles relatives à la transparence des marchés, préc..
Quoi qu’il en soit, la décision d’inconstitutionnalité rendue par le Conseil constitutionnel le 18 mars 2015 a conduit le législateur à prévoir une application alternative des sanctions pénale et administrative pour les infractions constituant des atteintes à la transparence des marchés (article L.465-3-6 du Code monétaire et financier). Mais le problème demeure entier pour les autres infractions.
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne: 30/10/2017