Le droit du travail néerlandais prévoit que, lorsque l’employeur souhaite mettre fin de façon unilatérale au contrat de travail conclu avec l’employé, celui-ci doit préalablement, à cette fin, obtenir l’autorisation de l’UWV (l’instance néerlandaise comparable, à certains égards, à l’ASSEDIC française) qui est un organisme semi-public chargé, notamment, de contrôler le bien-fondé des licenciements.
Une autre possibilité, dans un tel cas, à la disposition de l’employeur est de demander au juge d’instance néerlandais (le « kantonrechter ») de résilier le contrat de travail. Le juge peut alors donner suite à cette requête en contrôlant si un certain nombre de conditions strictes prévues par la loi ont été respectées.
Lorsqu’un employé qui fait l’objet d’un licenciement ou dont le contrat de travail est résilié par le juge et qui, au moment où son contrat de travail prend fin, a une ancienneté de 2 années ou plus, a droit à une indemnité fixée par la loi désignée sous le terme d’indemnité de transition (« transitievergoeding »). La loi organise la méthode de calcul de ladite indemnité. Le montant de l’indemnité est fonction du salaire mensuel et de la durée du contrat de travail. Toutefois, l’employeur n’est pas tenu de payer l’indemnité de transaction lorsque l’employé a agi d’une manière particulièrement condamnable.
Si l’employeur a résilié le contrat sans demander l’autorisation de l’UWV ou sans passer par le juge, l’employé peut alors demander au juge d’instance d’annuler son licenciement (c’est-à-dire le faire déclarer non valide) ou bien demander à percevoir des dommages et intérêts.
Il y a toutefois des exceptions à cette règle.
Le premier cas est celui dans lequel l’employé est en période d’essai. En effet, lorsque dans le contrat de travail une période d’essai a valablement été convenue (en général pour une durée maximale de 2 mois commençant à courir au début du contrat de travail), l’employeur peut alors résilier le contrat de travail quand bon lui semble, ceci avec effet immédiat. En effet, dans un tel cas, pour pouvoir résilier le contrat de travail, l’employeur n’est pas tenu de respecter un délai de préavis ni d’obtenir l’autorisation de l’UVW ou bien encore de demander au juge de résilier le contrat. Pendant la période d’essai, l’employé peut, lui aussi, résilier à tout moment le contrat de travail.
Il existe une autre situation prévue par la loi néerlandaise dans laquelle l’employeur peut résilier le contrat de travail avec effet immédiat, à savoir le licenciement pour faute grave.
Le licenciement pour faute grave
Si l’employeur souhaite licencier un employé pour faute grave, il faut que l’employé se soit comporté de façon particulièrement condamnable. Pour pouvoir mettre en œuvre un licenciement pour faute grave, il est nécessaire de prouver l’existence de – ce que la loi appelle –une cause urgente. La loi fournit un certain nombre d’exemples dans lesquels on peut parler de l’existence d’une cause urgente : l’employé a trompé l’employeur en présentant des attestations falsifiées ; l’employé est en état d’ébriété sur le lieu de travail ou fait preuve d’un comportement dévergondé ; l’employé se rend coupable de vol ou commet des actes de tromperie, de détournement ou de violence/maltraitance. La liste des exemples donnés par la loi n’est pas exhaustive.
Dans de telles situations, la charge de la preuve incombe à l’employeur. Celui-ci devra en effet pouvoir prouver de façon convaincante que l’employé s’est effectivement rendu coupable des comportements qui lui sont reprochés.
Et lorsque l’employeur a constaté le comportement condamnable de l’employé, il est tenu par ailleurs d’agir avec célérité. Il ne peut en effet se permettre d’attendre des semaines, et a fortiori des mois, pour procéder au licenciement pour faute grave. Il doit donc résilier immédiatement le contrat de travail et cesser par ailleurs directement de payer le salaire de l’employé.
L’employé qui estime avoir été indûment licencié pour faute grave peut essayer de contester son licenciement en justice. Celui-ci peut ainsi demander au juge d’instance d’annuler (c’est-à-dire le déclarer non valable) son licenciement pour faute grave. Il peut également décider de ne pas demander l’annulation du licenciement et, au lieu de cela, réclamer le paiement de dommages et intérêts (sous la forme d’une indemnité de transition).
Si l’employeur peut faire valoir une cause urgente justifiant le licenciement et peut en rapporter la preuve suffisante tout en se conformant par ailleurs aux règles de procédure prescrites par la loi et la jurisprudence – et notamment en procédant au licenciement immédiat et en cessant directement de verser son salaire à l’employé – le juge décidera alors que le licenciement pour faute grave est fondé.
Pour le bon ordre : nous parlons ici d’un licenciement pour faute grave fondé, à savoir un licenciement auquel l’employeur était en droit de procéder en invoquant une cause urgente valable.
On pourrait penser que, une fois ces conditions réunies, l’affaire est classée et que l’employé – dont le licenciement pour faute grave a été prononcé – ne peut par conséquent prétendre à des indemnités de licenciement (sous la forme d’une indemnité de transition), comme cela est le cas à l’occasion d’un licenciement « ordinaire ».
Pendant très longtemps, ceci a été la règle en vigueur telle que la jurisprudence la mettait en œuvre. Toutefois, suite à une décision de la Cour de cassation des Pays-Bas, les choses ont changé, comme le montre d’ailleurs l’exemple ci-après tiré de la pratique.
Un employé travaillait comme gérant de l’entrepôt dans une entreprise ou la consommation d’alcool et de drogues était expressément interdite. Alors que l’employé s’était présenté à son travail en empestant l’alcool, son employeur lui adressa – sans succès – un avertissement officiel. Quelques mois plus tard, il constata que le même employé était en état d’ébriété sur le lieu de travail. L’employeur décida alors de licencier immédiatement ledit employé pour faute grave en invoquant une cause urgente.
L’employé contesta son licenciement devant le juge d’instance et réclama par ailleurs le paiement d’indemnités de licenciement (sous la forme d’une indemnité de transition). Le juge d’instance rejeta l’ensemble de ses demandes.
L’employé interjeta alors appel auprès de la cour d’appel où, là aussi, il « fit chou blanc ».
L’employé forma ensuite un pourvoi en cassation auprès de la Cour de cassation des Pays-Bas (la plus haute juridiction aux Pays-Bas qui a pour tâche de dire comment les règles de droit doivent être interprétées).
La Cour de cassation des Pays-Bas
Appelée à se prononcer sur cette affaire, la Cour de cassation des Pays-Bas, siégeant à La Haye, a tranché dans les termes suivants : même lorsque l’employeur a licencié à juste titre un employé pour faute grave, cela ne signifie pas automatiquement que l’employé ne peut plus prétendre à des indemnités de licenciement (sous la forme d’indemnité de transition). L’employé ne perd en effet son droit d’obtenir de telles indemnités – comme le formule la loi – que lorsque celui-ci a agi d’une manière particulièrement condamnable.
En bref, selon le raisonnement de la Cour de cassation, un employé ne peut être considéré comme valablement licencié pour faute grave et ne perd par conséquent son droit au paiement d’indemnités de licenciement (sous la forme d’indemnité de transition) que si son employeur peut faire valoir, pour ledit licenciement, l’existence d’une cause urgente et à condition par ailleurs qu’il puisse prouver que le comportement de l’employé est particulièrement condamnable.
Cette décision de la Cour de cassation est particulièrement déroutante. Ainsi, si un employeur peut justifier d’une cause urgente valable lui permettant de procéder à un licenciement pour faute grave fondé, ceci n’induit pas automatiquement que l’employé s’est rendu coupable d’agissements particulièrement condamnables.
Les conséquences pour le moins singulières et amères pour l’employeur de cette décision sont que l’existence d’une cause urgente justifiant le licenciement n’est pas forcément en soi suffisante pour refuser à l’employé le versement d’indemnités de licenciement (sous la forme d’indemnité de transition).
Les décisions de la Cour de cassation des Pays-Bas font office de principes directeurs pour les juridictions inférieures qui, dans la pratique, devront appliquer les leçons de l’arrêt discuté ci-avant de la Cour de cassation. Ces décisions sont parfois constitutives d’une jurisprudence surprenante.
On peut, dans ce cadre, citer l’exemple d’une procédure qui avait été engagée devant le tribunal d’Amsterdam.
Un employeur (le directeur d’une entreprise de transport) fut menacé par l’un des chauffeurs qui travaillaient pour lui. Pour cette raison, il licencia le chauffeur en question pour faute grave. L’employé ne contesta pas la validité du licenciement mais réclama des indemnités de licenciement (sous la forme d’indemnité de transition). Bien que le juge estima fondé le licenciement pour faute grave, celui-ci condamna malgré tout l’employeur à verser à l’employé une indemnité de transition.
Le tribunal d’Amsterdam a en effet jugé que le motif du licenciement pour faute grave – à savoir le fait que l’employé avait menacé l’employeur – reposait certes sur une cause urgente mais que le comportement de l’employé n’était pas pour autant, de facto, particulièrement condamnable. Disons-le : cette jurisprudence est tout simplement incompréhensible…
Et maintenant ?
Une conséquence automatique d’un licenciement décidé en raison de l’existence d’une cause urgente valable devrait être que l’employé ayant été valablement licencié pour faute grave ne puisse plus obtenir, après un tel licenciement, des indemnités de licenciement (sous la forme d’indemnité de transition) de l’employeur. Or, comme vu précédemment, il n’en va pas ainsi.
Qu’est-ce que cela signifie en pratique ?
Dans l’immédiat, les employeurs néerlandais devront, dirons-nous, « faire avec les moyens du bord ». En effet, aussi longtemps que la déroutante législation et la surprenante jurisprudence en la matière n’évolueront pas vers une solution plus logique, l’employeur néerlandais sera bien avisé – aussi superflu qu’une telle recommandation puisse paraître –, lorsqu’il décide de licencier un employé pour faute grave, d’indiquer expressément dans la lettre de licenciement qu’il adresse à l’employé qu’il peut démontrer l’existence d’une cause urgente justifiant le licenciement, mais aussi que l’employé a agi d’une manière particulièrement condamnable. L’employeur devra par ailleurs prendre soin de signaler expressément cette situation au juge dans le cadre d’une procédure. Ceci dans le but d’éviter que l’employé ayant été à juste titre licencié pour faute grave ne se présente devant l’employeur pour lui demander (sans manquer d’aplomb) : « Je pourrais avoir mon indemnité de transition ? »
Maitre Jan Harmen Baljet
Cabinet Abeln Advocaten