En principe, la date de naissance d’un individu est établie, juridiquement, grâce aux actes d’état civil. Il est toutefois des situations dans lesquelles de tels actes font défaut ou dans lesquelles la véracité de leur contenu est mise en cause. C’est le cas notamment en présence de mineurs étrangers isolés ou non accompagnés ayant pénétré sur le territoire français. La recherche des éléments de preuve de l’âge d’un individu est, dans ces situations, un enjeu crucial. Les mineurs non accompagnés ou isolés sont en effet considérés comme des personnes vulnérables qui doivent être protégées par l’État au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’âge d’un individu permet donc de déterminer s’il doit, ou non, être pris en charge par les services compétents en matière de protection de l’enfance. C’est pourquoi dans de telles hypothèses, à défaut de documents d’identité valables, ou si la date de naissance avancée par l’individu ne semble pas vraisemblable, la preuve de l’âge peut être recherchée en ayant recours à des procédés scientifiques, tels que des examens radiologiques osseux.
C’est justement tout l’enjeu de l’affaire à l’origine de la décision de la Cour de cassation du 12 janvier dernier (n°20-17.243). En l’espèce, un mineur isolé, prétendant être né en Guinée en 2004, a été confié à l’Aide sociale à l’enfance par le procureur de la République près du tribunal de grande instance de Paris ; procureur qui a, par requête du même jour, saisi le juge des enfants. Ce dernier a demandé, en sus des documents d’état civil produits et d’une évaluation sociale de 2018 qui constituaient deux indices de minorité, la réalisation d’un examen radiologique osseux dans le but d’évaluer l’âge de l’intéressé. Le rapport de cet examen a conclu à une fourchette d’âge comprise entre 18 et 20 ans et à une incompatibilité avec l’âge allégué de 14 ans et 11 mois. Fort de ces éléments, la Cour d’appel de Paris a décidé d’écarter la minorité et donc d’ordonner la mainlevée de la décision du procureur en déchargeant l’Aide sociale à l’enfance.
Devant la haute juridiction, le jeune homme fait toutefois valoir que les conclusions du test osseux ne peuvent constituer l’unique fondement dans la détermination de l’âge et qu’il appartient à l’autorité judiciaire d’apprécier la minorité ou majorité en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis. C’est également l’avis de la Cour de cassation qui casse l’arrêt d’appel au motif que la possibilité, offerte par l’article 388 du Code civil, de procéder à des examens radiologiques osseux afin de déterminer l’âge d’un individu ne saurait suffire à elle seule à conclure ou non à sa minorité. En raison de la marge d’erreur de ces examens, si des indices se contredisent dans l’évaluation de la minorité, le doute profite toujours à l’intéressé. Par conséquent, dans la mesure où les examens radiologiques osseux étaient en contradiction avec les autres éléments, la cour d’appel aurait dû conclure à la minorité de l’intéressé et lui permettre, conséquemment, de bénéficier d’une protection par mesure éducative.
Pour classique qu’elle soit, en ce qu’elle s’inscrit dans la continuité d’une série de décisions ayant souligné le caractère subsidiaire des examens osseux (Civ. 1ere, 12 février 2020, n° 18-24.264 ou encore 21 novembre 2019, n° 19-15.890), cette décision qui fait de la preuve scientifique un simple indice parmi d’autres et limite le pouvoir souverain d’appréciation des juges, n’en est pas moins heureuse tant le recours aux tests radiologiques osseux fait l’objet de critiques répétées. Outre les critiques tenant au manque de fiabilité des résultats obtenus – lesquelles ont d’ailleurs conduit le Conseil constitutionnel à préciser, suite à une QPC du 21 mars 2019, consacrant une exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, que « le principe selon lequel le doute profite à l’intéressé, édicté à l’article 388 du Code civil, constitue une garantie permettant de tenir compte de l’existence de la marge d’erreur entourant les conclusions des examens radiologiques » – cette pratique est régulièrement décriée pour des motifs éthiques (voir par ex. le rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies de 2020 ou encore l’avis n°88 du CCNE « sur les méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques » qui souligne, entre autres, que de tels tests peuvent « blesser la dignité des enfants adolescents soumis à un tel regard médical sans comprendre leur finalité, dans une structure hospitalière apparentée alors à une structure policière »).