- Tribunal de Hambourg, 27 septembre 2024, n°310 O 227/23
ChatGPT, Gemini, Dall-E… les systèmes d’intelligence artificielle générative ne se contentent pas de redéfinir nos industries et modèles économiques. C’est tout notre droit d’auteur qu’ils mettent sous tension ! Les interrogations que suscite la protection des « œuvres » produites par l’intelligence artificielle sont bien connues. En effet, à supposer que les compositions des IA puissent être regardées comme des œuvres de l’esprit, encore faut-il, que ces œuvres puissent être qualifiées d’« originales ». Or l’originalité suppose traditionnellement « l’empreinte de la personnalité », caractéristique dont l’IA est, par essence, dépourvue. Par conséquent, la protection par le droit d’auteur devrait être écartée dès lors que l’IA agit de manière autonome, et non comme un simple outil au service de la créativité humaine, à l’instar d’un pinceau ou d’un appareil photo. À mesure toutefois que les outils génératifs gagnent en performance, la question de la protection en aval des données produites se double de celle de la protection, en amont, des données d’apprentissage, ces « input » qui alimentent les systèmes d’intelligence artificielle. L’entreprise OpenAI elle-même le reconnaît : « il serait impossible d’entraîner les systèmes d’IA sans accéder à des contenus protégés ». Cette question a récemment trouvé une illustration concrète dans une affaire jugée, le 27 septembre dernier, devant le tribunal régional d’Hambourg.
L’affaire, dont la décision était attendue, opposait le photographe Robert Kneschke à l’organisation à but non lucratif LAION, connue pour créer et mettre à disposition des ensembles de données d’entraînement. Le photographe reprochait à l’organisation d’avoir intégré l’une de ses photographies dans sa base de données d’apprentissage, en violation de son droit de reproduction. Pour sa défense, et sans contester la copie de l’œuvre protégée, l’organisation invoquait les exceptions prévues aux articles 44a, 44b et 60d UrhG, transposant notamment les articles 3 et 4 de la directive UE 2018/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, lesquels prévoient respectivement : une exception de reproduction temporaire, une exception de fouille de textes et de données quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l’auteur s’y est opposé de manière appropriée, et une exception de fouille de textes et de données à des fins de recherches scientifiques. C’est cette dernière exception qui a été retenue par le tribunal pour débouter le photographe de ses demandes. Après avoir rapidement écarté l’exception de reproduction temporaire, le tribunal a conclu que l’organisation pouvait se prévaloir de l’exception de fouille de textes et de données à des fins de recherches scientifiques, écartant ainsi toute violation du droit d’auteur.
Cette décision, bien que susceptible d’appel, marque une étape clé dans l’interprétation des exceptions des articles 3 et 4 créées par la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique dans le cadre des activités d’intelligence artificielle. D’une part, elle clarifie la portée de l’exception pour « recherche scientifique », en affirmant que cette notion ne doit pas être interprétée de manière restrictive, mais englober toutes les étapes d’un processus visant à acquérir, directement ou à terme, des connaissances, ce qui inclut la création d’un ensemble de données utilisé pour l’entraînement des IA. D’autre part, en refusant d’appliquer l’exception de fouille de données soumise à opt out – comme on aurait pu s’y attendre compte tenu de l’utilisation de la base de données de LAION par des entreprises entraînant des IA à des fins commerciales – la Cour souligne que l’objectif non commercial prime. Cela reste vrai même si les données peuvent ensuite être exploitées à des fins commerciales, tant qu’il n’est pas prouvé qu’une entreprise commerciale exerce un contrôle effectif sur l’organisation ou bénéficie d’un accès privilégié aux résultats de la recherche.