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Indivision, nus-propriétaires et droit au partage


17 mars 2025
Par Marie Potus



  • Civ. 1ère, 15 janvier 2025, n°22-24.672

 

« Nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué » même en présence d’un usufruitier. C’est ce que rappelle avec force la Cour de cassation dans son arrêt du 15 janvier 2025. Par cette décision, la Haute juridiction dissipe une confusion fréquente des juridictions du fond : si l’absence d’indivision entre usufruitier et nus-propriétaires est bien établie en droit, cette réalité ne prive pas les nus-propriétaires de leur droit de provoquer le partage.

Dans cette affaire, un couple marié sous le régime de la communauté réduite aux acquêts a, en 1983, procédé à une donation entre époux au dernier vivant. En 2009, les époux ont adopté le régime de la communauté universelle à l’exception des biens que l’article 1404 du code civil déclare propres par leur nature et des biens immobiliers appartenant à l’épouse, avec attribution, au conjoint survivant, au choix, soit de la totalité en toute propriété des biens communs, soit de la moitié en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit. Au décès de l’épouse en 2016, son mari a choisi d’opter pour l’attribution de la propriété de l’ensemble des biens communs dans le cadre de la communauté et pour l’usufruit de l’ensemble des biens de la succession de son épouse, laissant la nue-propriété à leurs deux enfants. Cinq ans plus tard, l’un de ces enfants a assigné son père et sa sœur afin de solliciter l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de sa mère, ainsi que le rapport et la réduction des libéralités consenties par la défunte. La cour d’appel a rejeté cette demande, estimant qu’en l’absence d’indivision entre usufruitier et nus-propriétaires, ces derniers ayant des droits de nature différente, l’action en partage était irrecevable. La Cour de cassation casse cette décision au visa de l’article 815 du code civil, aux termes duquel « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision ».

La solution est parfaitement logique en théorie. S’il n’existe, effectivement, pas d’indivision entre usufruitier et nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente (voir par ex. Civ. 1ère, 25 nov. 1986, n°85-10.548, Civ. 1ère, 2 mars 2022, n°20-21.641), cela n’empêche en rien les nus-propriétaires d’agir en partage de la nue-propriété qu’ils détiennent en commun. Cette solution s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence bien établie, qui affirme que le droit au partage des héritiers nus-propriétaires ne disparaît pas en raison de la présence d’un usufruitier (Civ. 1ère, 19 déc. 2012, n°11-25.400, Civ. 1ère, 3 avril 2019).

Reste qu’en pratique, la mise en œuvre du partage risque bien de rencontrer des résistances. Si la nue-propriété porte sur plusieurs biens distincts, le partage peut s’opérer relativement simplement, en attribuant des lots aux héritiers. En revanche, si ces biens ne peuvent être partagés en nature, la situation se complique. En pareil cas, l’une des solutions consiste en un rachat de part, que ce soit entre les héritiers eux-mêmes ou avec un tiers. Force est néanmoins de constater que le rachat de la nue-propriété par un tiers est une option peu prisée sur le marché. Une autre solution pourrait être d’impliquer l’usufruitier dans le processus, même s’il n’est pas directement concerné par l’indivision. L’usufruitier pourrait, en effet, se porter acquéreur de la part de la nue-propriété, mais cette démarche soulève des questions sur l’impact de l’opération sur sa propre succession. Reste enfin la possibilité de conclure une convention d’indivision, en vertu de l’article 1873-16 du Code civil, mais encore faut-il que les parties acceptent de recourir à une solution amiable, ce qui ne semble, vraisemblablement, pas avoir été le cas en l’espèce.





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