L’absence de retour à la prescription de droit commun en cas de fraude.
On sait que la prescription triennale de l’article 1844-14 du Code civil s’applique aux « actes et délibérations » postérieurs à la constitution de la société, mais que la jurisprudence en a étendu l’application aux cessions de droits sociaux lorsque leur nullité « est fondée sur une irrégularité affectant la décision sociale ayant accordé au cessionnaire l’agrément exigé par la loi ou les statuts » (Cass. Civ. III, 6 octobre 2004, n° 01-00896). Tel est le cas lorsque la nullité de la cession de droits sociaux résulte de la violation d’une procédure d’agrément. En effet, dans cette hypothèse, « la cession de droits sociaux n’est pas atteinte d’un vice propre ; elle n’est nulle que parce qu’elle est conclue en violation du mécanisme sociétaire qu’est l’agrément. Le régime de la nullité des actes sociétaires est donc naturellement transposé à la cession de droits sociaux, qui est la manifestation tangible de la violation de la procédure d’agrément » (M. Caffin-Moi, La prescription triennale de l’action en nullité des actes et délibérations résiste-t-elle à la fraude ?, Bull. Joly Sociétés, 29 février 2016, n°2, p.103 et s., spéc. n°4. V. égal., du même auteur, Nullité d’une cession de parts pour « fraude aux statuts » : quelle prescription ?, L’essentiel Droit des contrats, 14 janvier 2016, n°1, p.6).
Mais en l’espèce, l’associé prétendait que la violation de la procédure d’agrément était constitutive d’une fraude. Il arguait à cette fin de ce que les signatures et paraphes figurant sur les actes de cession et sur les P-V des assemblées générales extraordinaires postérieures aux cessions litigieuses auraient été grossièrement contrefaits.
La question était donc de savoir, comme le soutenait le requérant, d’une part, si la fraude permettait de revenir à la prescription de droit commun et, d’autre part, si le point de départ de la prescription était retardé au jour de la découverte de la fraude. Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation (Cass. Civ. III, 15 octobre 2015, n° 14-17517), qui approuve les juges d’appel d’avoir appliqué la prescription triennale « peu important que l’irrégularité résulte d’une simple omission ou, comme il est allégué, de la fraude » et retenu comme point de départ de la prescription l’enregistrement au greffe des cessions et le dépôt au greffe des délibérations.
Est-ce à dire qu’en la matière, la fraude ne corrompt pas tout et ne permet pas de revenir à la prescription de droit commun ? Sans doute pas, car en l’espèce, comme le relève Mme le professeur Caffin-Moi (note préc., spéc. n°7), il ne s’agissait pas d’une fraude à proprement parler. En effet, ce qui caractérise la fraude est « le contournement de la règle, qu’elle soit légale ou contractuelle, par un moyen licite. Au demeurant, la célèbre hypothèse de fraude à l’agrément rencontrée dans l’affaire Barilla-Lustucru constitue une parfaite illustration de cette définition. (…) On en dira autant de l’affaire non moins célèbre des cessions successives entre un associé et sa mère, puis entre la mère et sa fille (…). Dans ces dernières hypothèses, la fraude à l’agrément ne pouvait donner prise à une quelconque action en nullité, puisque les clauses d’agrément n’avaient précisément pas été violées, mais seulement contournées. C’est dans ce type de contexte que l’adage fraus omnia corrompit vole au secours des associés floués. Dans notre espèce en revanche, nul besoin d’y avoir recours, car il ne s’agit pas d’un contournement de la clause par un moyen légal mais d’une violation patente de la clause par un procédé certes déloyal – un défaut de convocation et de fausses signatures – mais non frauduleux au sens strict ».
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne:16/02/2016