Cass. Civ. III, 12 septembre 2019, n°18-20.727 :
On sait que la réglementation des baux d’habitation impose au locataire de solliciter l’autorisation du bailleur pour consentir une sous-location.
Dès lors, il va de soi que la méconnaissance de cette obligation doit permettre au bailleur d’appliquer une clause résolutoire et de demander réparation du préjudice que la sous-location illicite lui aura causé.
C’est ce raisonnement qui avait conduit les premiers juges à condamner le locataire à verser des dommages-intérêts au bailleur.
Mais le montant de ceux-ci ayant sans doute été jugé insuffisant, le bailleur s’est tourné vers le droit des biens pour réclamer le paiement de la totalité des sous-loyers reçus par le locataire, et a obtenu gain de cause tant devant la Cour d’appel (CA Paris, 5 juin 2018, n° 16/10684 ; A.-L. Thomat-Raynaud, Le droit des biens au secours du propriétaire victime de locataires utilisateurs d’AirBnB, Gaz. Pal. 13 nov. 2018, p.71 et suiv.) que devant la Cour de cassation (Cass. Civ. III, 12 septembre 2019, n° 18-20.727 ; L.Derhy, Airbnb et sous-location : la Cour de cassation ordonne la restitution des sous-loyers au bailleur !, Village de la Justice, 17 septembre 2019).
Le raisonnement suivi par la Haute Juridiction consiste à qualifier les sous-loyers de fruits civils, puis à considérer qu’à ce titre, ils reviennent « naturellement » au propriétaire, par voie d’accession.
Ainsi la volonté des parties (traduite dans le contrat de bail) cède insensiblement la place à une fatalité naturelle qui permet au propriétaire, tel un seigneur féodal, de s’approprier les sous-loyers versés au locataire qui a œuvré pour loger cet occupant de passage (Sur les risques – contemporains – d’une vassalisation des rapports sociaux, V. A.Supiot, La gouvernance par les nombres, éd. Fayard, 2015, spéc. Ch.13 et 14).
Certes, on comprend la finalité de cette décision, qui est de sanctionner un locataire indélicat.
Cependant, la responsabilité civile a précisément une fonction de peine privée (S.Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, 1995 ; B.Starck, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile en sa double fonction de garantie et de peine privée, éd. Rodstein, 1947) qui aurait pu s’appliquer, même en l’absence de clause pénale pour sanctionner l’absence d’autorisation du bailleur (Sur ces clauses, V. C.Popineau-Dehaullon, Les remèdes de justice privée à l’inexécution du contrat. Etude comparative, LGDJ, 2008).
C’est peut-être, finalement, la mansuétude des premiers juges qui a conduit à se tourner vers le droit des biens.
Mais en se fondant sur les articles 546 et 547 du Code civil, la Cour de cassation autorise une véritable emprise sur l’activité du locataire qui aurait tout autant vocation à s’appliquer si la sous-location avait été autorisée (et on sait bien l’autorisation du bailleur donne souvent lieu à un partage des sous-loyers).
Ainsi, pas plus qu’il nous semble opportun de reconnaître un « droit » du locataire de disposer du local à usage d’habitation dont il a conventionnellement la jouissance, faute pour lui de bénéficier d’un véritable droit réel (Sur la reconnaissance d’un tel droit, V. B.Lotti, Le droit de disposer du bien d’autrui pour son propre compte, thèse, 1999), il ne nous semble justifié d’invoquer un droit d’accession du bailleur sur les sous-loyers.
On serait même tenté d’y voir la soustraction de la chose d’autrui, et peiné de constater que celle-ci n’est pas frauduleuse, mais au contraire légitimée par le droit (des biens).
Faut-il que la sécurité (Sur l’impératif contemporain en faveur de la sécurité, V. M. Foessel, Etat de vigilance. Critique de la banalité sécuritaire, éd. Points, 2016), qui inspire le droit des biens, se fasse au détriment de la liberté qui fonde le droit des contrats ?
N’y a-t-il pas place pour une conciliation de ces deux impératifs tout autant fondamentaux ?
Mise en ligne: 07/10/2019