- Cass. ass. plén., 4 avril 2025, n° 21-24.439
Peut-on demander au juge judiciaire d’apprécier le bien-fondé et les conséquences patrimoniales d’une décision prise par une autorité religieuse ? En répondant par la négative, la Cour de cassation est venue rappeler, dans un arrêt attendu du 4 avril 2025, les limites de l’intervention du juge judiciaire dans les affaires ecclésiastiques. Elle y réaffirme les principes de laïcité et d’autonomie des communautés religieuses et écarte la compétence des juridictions étatiques lorsque les préjudices invoqués ne sont pas détachables de la décision religieuse.
À l’origine du litige, un ancien diacre, renvoyé de l’état clérical à la suite d’une sentence pénale ecclésiastique, confirmée en appel par le tribunal de la Rote romaine, contestait cette décision devant le juge judiciaire afin d’obtenir l’annulation de cette décision et sa réintégration dans ses fonctions. Il réclamait, en outre, la réparation de divers préjudices résultant de son renvoi, dont la perte de logement de fonction, de couverture sociale, et de moyens de subsistance. Par un arrêt du 2 février 2021, la Cour d’appel de Toulouse s’est déclarée incompétente pour connaître tant de la demande tendant à contester la décision ecclésiastique que de celle tendant à l’indemnisation des préjudices qui en résultait. L’ex-diacre a alors formé un pourvoi en cassation, invoquant notamment la violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il soutenait que sa relation avec l’association diocésaine relevait également du droit civil, en raison de l’existence d’un contrat comportant des obligations réciproques : l’accomplissement de missions cultuelles d’une part, et la fourniture d’un logement, d’une rémunération et d’une couverture sociale d’autre part. Il reprochait également à la cour d’appel d’avoir exigé l’épuisement des voies de recours prévues par le droit canon, alors que les droits invoqués relevaient, selon lui, de l’ordre juridique étatique.
L’assemblée plénière, saisie à la suite du renvoi de l’affaire par la deuxième chambre civile, devait ainsi déterminer si les juridictions de l’ordre judiciaire pouvaient connaître des conséquences patrimoniales directement liées à une décision prise par une autorité religieuse. Pour y répondre, la Cour se réfère à l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété notamment dans l’arrêt Károly Nagy c. Hongrie (CEDH, 14 sept. 2017, n° 56665/09), aux termes duquel cette disposition n’est applicable que si le requérant peut se prévaloir, de manière défendable, d’un droit reconnu en droit interne. En l’espèce, la Cour constate, à la lumière du droit national pertinent, que les avantages matériels invoqués (logement, rémunération, couverture sociale) étaient indissociables de l’exercice des fonctions cultuelles et ne procédaient d’aucun engagement civil distinct. Ce constat s’appuie sur les principes constitutionnels de laïcité et d’autonomie des communautés religieuses, consacrés par l’article 1 de la Constitution, par la loi du 9 décembre 1905, et réaffirmés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation. La Cour rappelle en effet que l’engagement religieux n’est pas de nature à créer des obligations civiles, de sorte que « ces ministres du culte ne sauraient davantage soutenir que les avantages matériels qui leur sont octroyés pour l’exercice de leurs fonctions cultuelles le sont en exécution d’un contrat » et déduit qu’ « il n’appartient pas au juge judiciaire d’apprécier la régularité ou le bien-fondé d’une décision prise par une autorité religieuse légalement établie en application des règles internes qui la gouvernent ». Elle précise néanmoins que cette exclusion n’est pas absolue, en réservant l’hypothèse, non caractérisée en l’espèce, dans laquelle le préjudice invoqué serait « détachable de l’engagement religieux », au regard de la nature du droit invoqué et de son autonomie par rapport à la décision ecclésiastique.
La notion de « préjudice détachable », appelée à jouer un rôle décisif, méritera donc d’être précisée, afin que la protection des droits fondamentaux ne soit pas reléguée au nom du principe, pourtant essentiel, de laïcité.