Les articles L 111-13 du Code de l’organisation judiciaire et L 10 du Code de justice administrative prévoient que « les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées (…). »
Le mouvement de l’open data a reçu un soutien ferme de la part de la loi pour une République numérique, dans divers domaines (V. not., parmi une littérature abondante, L. Grynbaum, Loi « pour une République numérique » – Ouverture des données et nouvelles contraintes, JCP, éd. G, n°43-44, Octobre 2016, 1129 ; S. Lamiaux, Ouverture des données publiques dans le domaine des marchés fonciers et immobiliers, JCP éd. Notariale et Immobilière, n° 43-44, 28 octobre 2016, act. 1156 ; V.-L. Benabou, La loi pour une République numérique et la propriété intellectuelle, Dalloz IP/IT 2016, p.531 ; J.-) et notamment celui de la jurisprudence. En effet, l’article L.111-13 du Code de l’organisation judiciaire et l’article L.10 du Code de justice administrative, applicables respectivement aux juridictions judiciaires et administratives dans des conditions qui seront fixées par un décret en Conseil d’Etat, prévoient que « les jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées. Cette mise à disposition du public est précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes. Les articles L. 321-1 à L. 326-1 du Code des relations entre le public et l’administration sont également applicables à la réutilisation des informations publiques figurant dans ces décisions ».
Cette ouverture des données se heurte à diverses réticences, parmi lesquelles on relèvera le coût qu’elle implique, notamment « parce que l’anonymisation des jugements ne peut être aujourd’hui, en l’état des techniques, entièrement automatisée » (J.-H. Stahl, « Open data » et jurisprudence, Droit administratif n°11, Novembre 2016, repère 10). Et la loi nouvelle ajoute encore la nécessité de faire précéder cette publication par « une analyse du risque de ré-identification des personnes » (formule qu’il faudra au surplus éclairer pour en comprendre la portée concrète…).
Mais la portée de cette évolution pourrait être considérable. En effet, il ne s’agit pas « simplement » de diffuser les décisions juridictionnelles les plus pertinentes (ce qu’accomplit depuis 1999 le service public de la diffusion du droit par l’internet, via le site public Légifrance), mais de diffuser l’ensemble des décisions juridictionnelles.
Or, cela pourrait transformer radicalement les métiers du droit. Certes, cela ne remettra pas en cause le fait que pour bien comprendre la jurisprudence, ce qui compte, « ce n’est pas l’exhaustivité, mais au contraire la sélection » (J.-H. Stahl, art. préc.). Et que ce que l’on nomme les « compétences métiers » continueront de nécessité la capacité de distinguer, expression de l’intelligence. Néanmoins, on peut penser que cette « compétence métier » pourrait, à l’avenir, être enrichie, comme le sont aujourd’hui les « compétences marketing » (cf. les travaux de la Chaire Décisionnel Connaissance client, Fondation Université Bretagne Sud), par l’ouverture des données contenues dans les décisions juridictionnelles. De là à imaginer des juristes travaillant de concert avec des « data scientists », il n’y a qu’un pas… que l’on est tenté de franchir d’autant plus allègrement lorsqu’on suit, par exemple, les travaux menés dans le cadre de l’association Open law ou les acteurs présents lors du 1er Salon de la Legal Tech qui s’est tenu à Paris en novembre dernier (Paris Open Source Summit; Salon de la Legal Tech, le film, Village de la justice, 23 novembre 2016). La grande transformation des professions juridiques (V. not. T. Wickers, La grande transformation des avocats, éd. Dalloz, 2014) semble irrémédiablement en marche : alors, puisque de toute façon nous n’avons pas le choix, osons vaillamment l’aventure !
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne: 17/02/2017