Entre conflit de civilisation et transition vers l’agro-écologie : le choix de la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’alimentation, l’agriculture et la forêt.
Comme l’a fort bien expliqué le sociologue Edgar Morin[1] à propos des événements relatifs au barrage de Sivens, on assiste actuellement à un « conflit de civilisation » autour des orientations agricoles[2], qu’on préférerait voir s’exprimer dans le cadre d’un débat de société plutôt que dans des explosions de violence[3]. En effet, alors que depuis la seconde guerre mondiale, où régnait la pénurie alimentaire, l’agriculture a été clairement orientée vers un modèle productiviste, désormais ce modèle est remis en question en raison de ses effets délétères : aliments dont les qualités nutritives s’amenuisent, terres dévastées par l’utilisation d’engrais et de pesticides, nombre très élevé de suicides d’agriculteurs surendettés et isolés, exode rural, disparition de nombreuses exploitations agricoles, dégâts environnementaux majeurs (notamment sur la qualité des eaux ou le changement climatique), etc. Autrement dit, il s’agit de quitter ce paradigme exclusivement économique pour prendre aussi en compte les dimensions sociale et environnementale de cette activité, tant pour les agriculteurs et les consommateurs que pour les territoires et la population qui les environnent, et dont la biodiversité est un élément essentiel de leur survie. Dans ce cadre, sont mis en avant les avantages de l’agroécologie[4] qui, selon le rapporteur à l’ONU O. de Schutter, constituerait « une agriculture nourricière et productive, créatrice de prospérité dans les campagnes et dans les villes, moins dépendante du pétrole et plus résistante aux extrêmes climatiques ».
C’est ce choix de société qui a été opéré par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, et qui énumère dans son titre préliminaire les multiples objectifs poursuivis par la politique menée en faveur de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche maritime et de la forêt[5].
Il reste que ces louables orientations ont un coût, qui pourrait peser principalement sur les agriculteurs dont les revenus de certains sont parfois déjà très faibles. De plus, ces orientations imposent parfois des contraintes très fortes qui les empêchent de développer leur activité comme ils le souhaiteraient. C’est notamment ce qui les conduit à critiquer le nouveau zonage de la directive nitrates, proposé par la ministre de l’écologie[6], qui impose des obligations supplémentaires dans certaines zones où la qualité des eaux est mauvaise et qui, selon eux, pourrait ne pas permettre d’améliorer effectivement la qualité de l’eau tout en leur imposant des contraintes excessives. Et toute la difficulté est là : comment favoriser la protection de l’environnement sans pour autant brider le développement économique ?
[2] V. V. Gallon et S. Flatrès, La fracture agricole, Les lobbies face à l’urgence écologique, éd. Delachaux et Niestlé, 2008.
[3] Dont on observera qu’elles émanent de toutes les parties prenantes : écologistes, Etat (à travers la police) ou agriculteurs.
[4] V. le rapport présenté en 2011 à l’ONU par O. de Schutter, qui appellait les Etats à entamer une transition vers l’agroécologie afin de répondre aux défis alimentaires, climatiques et de pauvreté dans le monde, http://www.srfood.org/fr/rapport-agroecologie-et-droit-a-l-alimentation; V. égal. M.-M.Robin, Les moissons du futur, Comment l’agroécologie peut nourrir le monde, Arte éditions, 2012 (ou le film du même nom).
Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris
Mise en ligne : 17/11/2014