« Loi Taubira » ou loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales : aperçu général (fonctions des peines et de leur exécution, suppression des « peines planchers », contrainte pénale, motifs d’ajournement du prononcé de la sanction, mesures de justice restaurative)
La fameuse loi « Taubira » a été promulguée cet été. Revenant sur certaines dispositions emblématiques du gouvernement précédent, elle vise à lutter contre la récidive en développant, non la répression, mais l’individualisation des peines. Parfois taxée de laxiste, cette loi s’inscrit dans une politique classique, qui vise à prendre en compte la poussée d’individualisme qui caractérise nos sociétés, afin de favoriser l’intégration des délinquants dans cette dernière. Cette politique, une spécialité française menée depuis le XIXème siècle[1], oscille depuis toujours entre des mouvements de répression et d’individualisation. La tendance contemporaine vers un mouvement de subjectivation[2] ne peut que renforcer ce besoin d’individualisation, même si on peut regretter, comme l’ancien avocat général près la Cour d’assises de Paris, Philippe Bilger, que cette loi se limite à la matière pénale, alors que les causes de la récidive sont bien plus larges. Il est indéniable qu’ignorer ces causes risque de ne pas permettre d’obtenir une réduction effective de la récidive, en dépit d’un accroissement des moyens administratifs annoncé.
1) Les fonctions de la peine et de leur exécution
Cette loi énonce la double fonction des peines, à savoir sanctionner l’auteur de l’infraction, d’une part, et favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion, d’autre part (nouvel art. 130-1 du Code pénal). C’est cette double fonction qui doit déterminer le choix de la peine. En effet, l’art. 132-1 du Code pénal dispose que la peine est déterminée « en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 ». De plus, le bureau de l’exécution des peines, qui sera créé dans chaque tribunal de grande instance et dans chaque cour d’appel, devra remettre à toute personne condamnée présente à l’audience « un relevé de condamnation pénale mentionnant les peines qui ont été prononcées (art. 709-1 du Code pénal, qui entrera en vigueur un an après la promulgation de la loi, soit le 15 août 2015).
L’objectif de l’exécution des peines privatives et restrictives de liberté est aussi clairement défini par l’article 707 du Code de procédure pénale : il s’agit de « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions ». C’est pourquoi le régime d’exécution de ces peines doit être adapté au fur et à mesure de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée. L’objectif est clairement de l’aider à accéder à une liberté maîtrisée, dans le cadre de mesures de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de placement sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou de libération sous contrainte (« en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire », précise l’art. 707, III, du C.Pr.pén.).
Cette adaptation progressive ne doit cependant pas s’opérer au détriment de la victime, à laquelle sont reconnus un certain nombre de prérogatives (droit de saisir l’autorité judiciaire de toute atteinte à ses intérêts, d’obtenir la réparation de son préjudice, d’être informée de la fin de l’exécution d’une peine privative de liberté, de voir garantir sa tranquillité et sa sûreté, art. 707, IV du C.Proc.pén.).
Par ailleurs, en cas de délivrance d’un mandat de dépôt ou d’arrêt, les peines privatives de liberté peuvent aussi être immédiatement aménagées, sans attendre que la condamnation soit exécutoire, sous réserve du droit d’appel suspensif du ministère public (art.707-5 C.Proc.pén .).
2) La suppression des « peines planchers »
Les « peines planchers » sont supprimées. On se souvient qu’elles visaient à inciter le juge à prononcer une peine minimale en cas de récidive légale, mais que ceux-ci pouvaient cependant s’en affranchir par une décision motivée, ce qui semble avoir été assez usuel en pratique.
3) La contrainte pénale
La loi crée une nouvelle sanction, proche du sursis à exécution mais qui s’en distingue pourtant : la « contrainte pénale » (voir le post consacré à cette nouvelle sanction).
4) Les possibilités d’ajournement de la sanction
Un ajournement du prononcé de la sanction peut intervenir dans deux séries d’hypothèses :
* aux fins d’investigations sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale
Cet ajournement est possible lorsque des investigations supplémentaires sur la personnalité ou sur la situation matérielle, famille et sociale de l’intéressé apparaissent nécessaires (art. 132-71-1). Dans ce cas, la date de la décision sur la peine doit être indiquée par le juge dans le cadre suivant : elle doit intervenir au plus tard dans les quatre mois suivant la décision d’ajournement (sauf si la personne est placée en détention provisoire, où l’article L.397-3 du Code de procédure pénale prévoit des délais plus courts, à savoir deux mois suivant sa première comparution devant le tribunal) et sauf si une nouvelle prolongation du délai de quatre mois est prononcée.
L’ajournement de la peine aux fins d’investigation sur la personnalité de l’intéressé peut s’accompagner du placement de la personne déclarée coupable sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire (et dans ce dernier cas pour l’un des motifs prévus par les 2°, 3°, 5° et 6° de l’article 144 (art.397-3-1).
Dans tous les cas, l’ajournement du prononcé de la peine n’empêche pas le juge d’accorder à la victime des dommages-intérêts, à titre provisionnel ou à titre définitif (art.132-70-2).
* aux fins de consignation d’une somme d’argent
L’ajournement du prononcé de la peine peut également être décidé aux fins de consignation d’une somme d’argent au greffe en vue de garantir le paiement d’une éventuelle amende. Cette consignation doit intervenir dans le délai fixé par le juge, en une ou plusieurs fois, mais à condition de ne pas excéder un an. Là aussi, la date d’intervention de la peine doit être fixée par le juge, et ne peut intervenir plus d’un an après la décision d’ajournement (art.132-70-3).
5) La justice restaurative
De quoi s’agit-il ? D’organiser une sorte de conciliation entre la victime et l’auteur afin « de leur permettre de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission » (art.10.1 C.Pén.).
La justice restaurative peut être mise en œuvre à tous les stades de la procédure pénale, y compris lors de l’exécution de la peine, à la demande de la victime ou de l’auteur d’une infraction (à condition que ce dernier ait reconnu les faits). Chacun d’eux doit y consentir expressément après avoir reçu une information complète à son sujet.
Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou de l’administration pénitentiaire. Elle est en principe confidentielle (voir les exceptions à l’art.10-1, in fine).
Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris
Pour aller plus loin :
De nombeux documents audio sont disponibles sur le site du ministère de la justice : http://www.justice.gouv.fr/la-reforme-penale-12686/dans-les-medias-12707/
De nombreux liens vers des points de vue émanant de diverses structures sont disponibles sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_%C3%A0_l%27individualisation_des_peines_et_renfor%C3%A7ant_l%27efficacit%C3%A9_des_sanctions_p%C3%A9nales
[1] V. P. Rosanvallon, L’Etat en France de 1789 à nos jours, éd. Seil, 1993, et en particulier p. 95 et s. sur le rôle de l’Etat comme instituteur du social.
[2] V. en dernier lieu A. Touraine, La fin des sociétés, éd. Seuil, 2013 (des conférences ou interviews de l’auteur sont également disponibles sur YouTube).
Mise en ligne : 14/10/2014