- Crim, 7 septembre 2021, n°19-87.031, 19-87.367 et 19-87.036
Par plusieurs décisions rendues début septembre et ayant donné lieu à un communiqué, la Cour de cassation a ouvert la voie à une possible condamnation de la société Lafarge pour complicité de crimes contre l’humanité dans le cadre de la poursuite de ses activités en Syrie pendant qu’une guerre civile s’y déroulait.
Cette voie avait pourtant préalablement été fermée par une décision de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris. Cette dernière avait jugé que la complicité ne pouvait être retenue dans le cas d’espèce en l’absence d’indices graves et concordants.
Les faits à l’origine de l’affaire sont connus. Au cours des années 2011-2014, l’une des filiales du groupe Lafarge avait maintenu son activité de cimenterie sur le territoire syrien.
Afin d’assurer la poursuite de cette activité, des commissions conséquentes (plus de 15 millions de dollars) avaient été versées à des organisations terroristes dont l’État Islamique ainsi qu’à une organisation impliquée dans les attentats parisiens du 13 novembre 2015. Ces agissements avaient conduit à une mise en examen de la société Lafarge pour complicité de crimes contre l’humanité.
La chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris avait néanmoins estimé que la complicité ne pouvait être retenue dès lors que la remise des sommes aux organisations terroristes ne manifestait pas « une adhésion de la part de la société Lafarge aux projets criminels », la complicité étant définie par le Code pénal comme l’attitude d’une personne qui « sciemment, par aide ou assistance » facilite « la préparation ou la consommation » d’un crime ou d’un délit (article 121-7 al. 1).
À l’inverse de l’interprétation retenue par les juges du fond, la Cour de cassation estime qu’il n’est pas nécessaire pour caractériser la complicité de démontrer la même intention criminelle que chez l’auteur du délit ou crime.
Il « suffit (que le complice) ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité́ et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation » (pt 67 – décision n°868). Dans ce contexte, la conscience requise par le Code pénal renvoie donc à la seule connaissance du crime ou du délit dont la complicité est alléguée.
En l’espèce, le versement de commissions à « une organisation dont l’objet n’est que criminel suffit à caractériser la complicité́ par aide et assistance » (pt 81 – décision n°868).
Cette décision apporte deux précisions importantes quant à l’appréciation de la complicité de crimes contre l’humanité. Tout d’abord, aucune spécificité n’est retenue quant à l’appréciation de la complicité lorsqu’elle est appliquée à ce crime qui se caractérise par sa particulière gravité et son imprescriptibilité, ce qui avait pourtant pu être avancé (point 62).
C’est ensuite l’absence de spécificité de l’appréciation de la complicité de crimes contre l’humanité selon la qualité de la personne qui est consacrée : peu importe qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale (point 71).
La Cour de cassation écarte en effet un argument décisif qui avait été formulé : le fait que les versements avaient été faits en vue de la seule poursuite d’une activité économique. Cette considération est jugée indifférente à l’occasion de l’appréciation de la complicité de crimes contre l’humanité (point 82).
L’ensemble des éléments venant au soutien du raisonnement de la Cour de cassation vont ainsi dans le sens d’une extension de la responsabilité des personnes morales et dénote une volonté politique de lutte accrue contre la corruption.