Revirement de jurisprudence quant au point de départ du délai de prescription dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur.
On se souvient que par un arrêt du 10 juillet 2014 (n° 13-15.511), la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la prescription biennale de l’article L.137-2 du Code de la consommation courait, sur le fondement de l’article 2224 du Code civil, à compter du « jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ».
Cette décision occultait complètement les dispositions de l’article 2233 du Code civil qui prévoient qu’à l’égard des créances à terme, la prescription ne court qu’à compter du terme. « Ainsi, la jurisprudence ancienne aboutissait à une extinction totale d’une créance dont une fraction seulement était arrivée à terme. Le banquier pouvait ainsi voir ses droits se prescrire sans même avoir prononcé la déchéance du terme du capital restant dû » (F.Deat, Prescription du crédit immobilier : la Cour de cassation fait la girouette, Village de la justice, 24 février 2016 ; V. égal. A.-L. Becq, La récente solution, conforme au droit, du point de départ du délai de prescription de l’action en paiement au titre d’un crédit immobilier, Jurisactuubs, 23 février 2016).
C’est à l’encontre de cette solution que la première chambre civile a décidé, par 4 arrêts rendus le 11 février 2016 (n° 14-22.938 ; n° 14-28.383 ; 14-27.143 ; 14-29.539), « qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance ». Donc la prescription frappera les échéances au fur et à mesure « et le capital restant dû ne sera atteint par la prescription qu’à la condition que le prêteur en ait prononcé l’exigibilité anticipée et dans un délai de deux ans suivant ce terme provoqué » (F.Deat, préc.).
Du coup, en choisissant de mettre en œuvre – ou pas – la clause de déchéance du terme, le banquier prêteur se trouve en position de faire débuter – ou pas – le délai de prescription. N’est-ce pas contraire aux dispositions d’ordre public de l’article L.137-1 du Code de la consommation aux termes duquel « les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci » (En ce sens, V. F.Deat, préc.) ?
Annabel QUIN,
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocat au Barreau de Paris
Mise en ligne: 24/03/2016