- Civ. 3e, 4 juillet 2024, n°22-24. 856
Longtemps considéré comme le « parent pauvre » des successions, le conjoint survivant dispose, depuis la loi du 3 décembre 2001, puis celle du 23 juin 2006, de droits successoraux légaux considérablement renforcés. Parmi ces droits, l’article 1751 du Code civil lui confère un droit exclusif sur le bail d’habitation. Ce droit, étendu depuis au partenaire pacsé survivant par la loi ALUR du 24 mars 2004, empêche notamment les descendants qui vivaient dans le logement depuis au moins un an à la date du décès de se prévaloir du transfert de bail prévu par l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n°17-20409). Le conjoint survivant dispose néanmoins de la possibilité de renoncer à cette exclusivité afin de permettre aux personnes ayant des droits concurrents au sien sur le bail d’en bénéficier. Une telle renonciation, prévu à l’alinéa 3 de l’article 1751, doit cependant revêtir un caractère exprès et ne saurait, à défaut de congé valablement délivré, suffire à mettre fin au droit au bail dont le conjoint survivant est titulaire, ainsi qu’est venu le préciser, pour la première fois, la haute juridiction judiciaire dans sa décision du 4 juillet dernier (Civ. 3e, 4 juillet 2024, n°22-24. 856).
Dans l’affaire en question, un conflit opposait une bailleresse au conjoint survivant et à ses enfants au sujet de la continuation d’un bail d’habitation. L’épouse est décédée après qu’une ordonnance de non-conciliation lui a attribué la jouissance exclusive du domicile familial, et que l’époux a signé un avenant le désignant comme seul titulaire du bail. Plusieurs mensualités étant restées impayées, la bailleresse a signifié au conjoint survivant un commandement de payer visant la clause résolutoire, puis l’a assigné pour constater l’acquisition de cette clause, en expulsion et en paiement d’un arriéré locatif. Ses enfants sont intervenus volontairement à l’instance et ont sollicité la reconnaissance du transfert du bail au bénéfice de l’un d’eux, qui cohabitait avec leur mère depuis plus d’un an avant son décès.
Dans sa décision, la Cour d’appel a rejeté la demande en paiement d’arriérés contre le conjoint survivant estimant que ce dernier, bien que n’ayant pas donné congé, aurait fait connaître, plusieurs années avant le décès de son épouse, son désintérêt pour le logement qu’il n’habitait plus et n’a jamais demandé à bénéficier du transfert du contrat de location après le décès, nonobstant l’avenant le désignant comme seul titulaire. Ainsi, selon la Cour, le contrat de location devait se poursuivre au profit du fils.
C’était toutefois se méprendre sur les conséquences de la renonciation. La simple manifestation d’un désintérêt pour le logement ne constitue pas une renonciation valide à l’exclusivité du droit au bail. Une telle renonciation doit être non seulement expressément exprimée, ainsi que l’exige l’alinéa 3 de l’article 1751 du Code civil, mais elle ne peut également intervenir qu’après le décès du conjoint (voir en ce sens Civ. 3e., 18 mai 2011, n°10-13.853). En outre, quand bien même le conjoint survivant eût renoncé expressément à l’exclusivité de son droit au bail, ce dernier demeurait cotitulaire du bail, faute d’avoir mis fin au bail par un congé en bonne et due forme. En d’autres termes, la renonciation à l’exclusivité du bail n’entraîne pas la résiliation du contrat. Elle ne libère donc pas le conjoint survivant de ses obligations contractuelles, lequel reste donc tenu de s’acquitter des loyers.