La mise en demeure ne constitue pas une cause d’interruption de la prescription. Voilà synthétisé en une proposition le principal apport d’un arrêt remarqué, rendu le 18 mai dernier par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n°K2023204). La décision est importante car elle précise l’interprétation de l’article 2241 du Code civil et fournit des directives claires aux praticiens.
Outre la consécration d’une prescription quinquennale en lieu et place d’une prescription trentenaire, la réforme opérée par la loi du 17 juin 2008 a remodelé certaines causes de suspension et d’interruption de la prescription. Les articles 2240 à 2246 du Code civil énumèrent désormais les causes d’interruption de la prescription, c’est-à-dire les évènements qui « effac(ent) le délai de prescription acquis » et qui en font courir un nouveau (art. 2231 C. civ.). À ce titre, il faut citer la reconnaissance du droit par son débiteur (2240 C. civ.), l’action en justice (2241 C. civ.), une mesure conservatoire ou un acte d’exécution forcée (2244 C. civ.). La clarté des nouveaux textes n’a toutefois pas suffi pas à effacer tout questionnement. Il était notamment possible de s’interroger : cette liste est-elle limitative ? Le juge peut-il prendre ses distances avec la liste légale et ajouter une cause d’interruption de la prescription non expressément prévue ?
À travers l’hypothèse spécifique de la mise en demeure, l’espèce a offert à la Cour de cassation l’occasion de répondre à ces questions centrales pour les praticiens. Un médecin avait conclu en 2008, un contrat de location pour un matériel médical. Il cesse en 2011 de payer le loyer. Des mises en demeure de paiement lui sont envoyées en 2011 et 2013. L’assignation en paiement n’est cependant signifiée qu’en 2016. Pour s’opposer à la demande de paiement d’une partie de ces loyers, le médecin invoque la prescription de l’action pour les loyers antérieurs à octobre 2011 sur le fondement de l’article 2224 du Code civil prévoyant une prescription de cinq années pour les actions personnelles. Les juges du fond – tant en première instance qu’en appel – ont estimé que la prescription de l’action en paiement de ces loyers n’était pas acquise car les mises en demeure adressées au médecin avaient eu pour effet d’interrompre la prescription. Une telle interprétation était contestée par le pourvoi formé par le médecin.
Au soutien de sa cassation, la chambre commerciale retient « qu’une mise en demeure, fût-elle envoyée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, n’interrompt pas le délai de prescription de l’action en paiement des loyers ». La mise en demeure est en effet un acte procédural qui n’est pas assimilable à une action en justice et ne peut donc produire, sur le fondement de l’article 2441, un effet interruptif de prescription. L’interprétation littérale de la disposition qu’adopte la chambre commerciale s’oppose nécessairement à la solution retenue par les juges du fond.
Si la mise en demeure ne peut être assimilée à une action en justice, pourrait-elle être reconnue comme une cause d’interruption de la prescription en dehors des quatre causes expressément visées par le texte. En d’autres termes, la liste est-elle exhaustive ? Il est vrai que la mise en demeure – comme l’action en justice, l’acte d’exécution forcée ou la mesure conservatoire – peut être perçue comme manifestant la volonté du créancier de faire valoir ses droits en justice. La Cour de cassation refuse néanmoins l’analogie et affirme, sans aucune ambiguïté, que la liste des causes d’interruption de la prescription est « limitative ». Le juge décide ainsi de s’auto-limiter et s’interdit de consacrer une cause d’interruption de la prescription en dehors des causes listées par le législateur. La sécurité juridique en sort indéniablement renforcée.
Si la liste légale est limitative à défaut de précisions des parties, ces dernières peuvent toutefois, depuis la réforme de 2008, « personnaliser » les causes d’interruption de la prescription puisque l’article 2254 al. 2 prévoit qu’elles « peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi. ». Il apparaît donc possible, et même désormais conseillé, d’ériger la mise en demeure au rang de causes conventionnelles d’interruption de la prescription pour limiter les risques de prescription de l’action. Ce type de clause est ainsi appelé à devenir une clause de style. Rappelons toutefois qu’elle ne sera pas opposable aux parties pour les « actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, aux actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts. » (art. 2254 al. 3).