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Réforme de la responsabilité civile : ce qui est conservé par la proposition de loi sénatoriale (partie 1)


25 mai 2021
Par Madame Cécile GRANIER, Maître de Conférences en droit Privé à l'Université Jean Moulin LYON III.



Le 29 juillet dernier, plusieurs sénateurs ont déposé sur le bureau du Sénat une proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile.

Bien que la discussion n’ait à ce jour pas encore débuté, cette étape doit être notée car il s’agit de la première formalité qui pourrait déboucher sur la concrétisation (partielle) d’une réforme discutée depuis presque deux décennies.

C’est au début des années 2000 qu’est lancé le projet d’une réforme du droit des obligations, englobant notamment celle du droit de la responsabilité civile. Soutenues par les pouvoirs publics, deux propositions doctrinales de réforme sont élaborées par des commissions de réflexion conduites par des universitaires en 2005 (Projet Viney-Catala) puis en 2012 (Projet Terré).

Si la réforme du droit des contrats et du régime général de l’obligation eut bien lieu par le biais de la  fameuse ordonnance du 10 février 2016, il n’en fut pas de même pour celle de la responsabilité civile. Au regard de l’importance symbolique et concrète de la matière pour les français, les pouvoirs publics refusèrent d’opter pour la voie de l’ordonnance estimant que cette réforme devait être discutée devant la représentation nationale.

Dans cette optique, après une large consultation publique, la chancellerie publia un projet de réforme de la responsabilité civile en mars 2017. Depuis cette date, peu d’avancées furent constatées notamment du fait de blocages générés par certaines propositions de réforme. Convaincus de la nécessité de se doter d’un droit de la responsabilité moderne et lisible, plusieurs sénateurs prirent néanmoins l’initiative de déposer une proposition de loi.

L’état d’esprit qui habite ce texte est parfaitement retranscrit dans l’exposé des motifs : les « rapporteurs ont entendu dégager les axes les plus consensuels de la réforme, écartant certains sujets bloquants ». En somme, il s’agit de consacrer les propositions du projet de la chancellerie sur lesquelles une unanimité semble se dégager et de remettre à plus tard la discussion sur les sujets plus épineux.

Si la volonté d’avancer après une trop longue période de stagnation peut se comprendre, l’on ne peut qu’être étonné par la visée court-termiste de la démarche.

Parmi les points qualifiés de « consensuels », quels sont ceux retenus par la proposition de la loi ?

À l’instar de l’ordonnance du 10 février 2016, l’un des objectifs principaux de la réforme est d’inscrire dans le marbre de la loi, les normes qui ont progressivement été dégagées par le juge depuis 1804. La responsabilité pour faute est réaffirmée tandis que les autres fondements de responsabilité, bâtis de toute pièce par la jurisprudence, seront législativement consacrés : il en va ainsi de la responsabilité du fait des choses (art. 1242) ou encore des cas de responsabilité du fait d’autrui qui n’avait pas été reconnus en 1804 (art. 1245 et 1246).

Des principes structurants de notre droit de la responsabilité civile, tels que le principe de réparation intégrale du préjudice (art. 1235) ou le principe de non-cumul des responsabilités (art. 1233) sont également consacrés par la proposition de loi. Des modifications plus novatrices figurent également dans la proposition de loi.

C’est par exemple le cas de l’admission d’une dérogation au principe de non-cumul pour la réparation du dommage corporel (art. 1233), de la consécration d’une obligation pour la victime de ne pas aggraver, et donc de minimiser, son dommage (article 1264), de la consécration par décret de la nomenclature Dinthilac encadrant la réparation des préjudices corporels ou encore de la remise en cause de la jurisprudence en matière de responsabilité d’un cocontractant envers les tiers du fait d’un manquement contractuel.

Le tiers ne pourra se prévaloir directement d’un manquement contractuel que s’il ne peut pas agir sur un autre fondement de responsabilité et qu’il dispose d’un intérêt légitime (art.  1234).

Voilà donc les principales mesures retenues par la proposition de la loi sénatoriale. Ce sont toutefois celles qui sont abandonnées qui ont le plus donné lieu à  regrets et à discussion de la part de la doctrine ! Ces abandons seront envisagés dans une prochaine chronique.





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