- Civ. 1ere, 16 octobre 2024, n°22-23.433
En principe, en vertu de l’article L1142-1 du Code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soin qu’en cas de faute. Conformément à l’article 1353 du code civil, il revient donc au patient qui entend engager la responsabilité du praticien de prouver une faute et un lien de causalité avec le dommage invoqué. Toutefois, en cas d’absence ou d’insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe au professionnel de santé d’en rapporter la preuve. C’est ce qu’admet la première chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt rendu le 16 octobre 2024.
C’est une décision d’augmentation du capital qui est venue mettre en lumière les limites d’un tel dispositif. Souvent délicate car bousculant l’équilibre des pouvoirs au sein d’une société, cette décision fut, en l’espèce, considérée comme adoptée puisque votée par un tiers des associés. Pourtant, la majorité des actionnaires avait voté contre (229 313 voix « pour » la résolution et 269 185 voix « contre ») ! Dans ce contexte, deux associés intentèrent une action en annulation de la délibération litigieuse. La question juridique posée – est-ce que dans une SAS, les statuts peuvent prévoir qu’une augmentation de capital soit adoptée sans atteindre la majorité des voix ? – fut controversée puisque la réunion de l’assemblée plénière fait suite à une résistance des juges du fond suite à un renvoi après cassation.
Dans cette affaire, un patient ayant subi une arthroscopie de hanche, technique chirurgicale mini-invasive permettant d’accéder à l’articulation sans l’ouvrir, a présenté des complications après qu’une broche guide métallique se soit brisée durant l’intervention. En raison de douleurs persistantes, une arthroplastie, intervention chirurgicale consistant à remplacer l’articulation par une prothèse, a été réalisée deux ans plus tard. Le patient a alors intenté une action en responsabilité contre le chirurgien, lui reprochant notamment le non-respect des recommandations de la Société française d’arthroscopie (SFA), ces dernières n’étant pas mentionnées dans le compte rendu opératoire, malgré les affirmations du praticien de les suivre systématiquement.
Pour rejeter la demande indemnitaire, les juges d’appel retiennent que les séquelles du patient, en lien direct avec la rupture de la broche, pouvaient avoir deux origines distinctes : soit la constitution anatomique du patient, étant de surcroît atteint d’arthrose, soit un éventuel manquement du chirurgien qui n’aurait pas suivi la recommandation de la SFA, ce dernier n’étant qu’une hypothèse non prouvée, de sorte que l’existence d’une faute n’était pas établie. La Cour de cassation censure cette décision, sur le fondement des articles L. 1142-1, I, du Code de la santé publique et 1353 du code civil, au motif que, si le demandeur doit en principe prouver la faute et le lien de causalité, la charge de la preuve s’inverse en cas d’absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés. Ce faisant, la Cour de cassation opère un renversement de la charge de la preuve et réaffirme, dès lors qu’il revient au praticien de rapporter la preuve que les soins ont été appropriés, qu’il pèse sur lui une présomption de faute lorsque les informations relatives à la prise en charge sont insuffisantes ou lacunaires.
La solution n’est pas totalement inédite. Dans un arrêt du 26 septembre 2018, la haute juridiction avait déjà jugé que la perte d’un dossier médical par un établissement de santé entraîne une perte de chance pour le patient de prouver la faute du praticien, de sorte qu’il revient au professionnel de santé de rapporter la preuve que les soins dispensés ont été appropriés (Civ. 1ière, n°17-20.143). Elle mérite toutefois d’être saluée. D’une part, elle contribue à l’effectivité du droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à sa santé prévu par l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique. D’autre part, elle agit comme un levier de prévention, incitant les professionnels de santé à documenter leurs actes de manière rigoureuse. Enfin, elle établit un mécanisme dissuasif contre les omissions ou suppressions d’informations, renforçant ainsi la transparence et l’équilibre dans la relation entre le patient et le praticien.