ARTICLES

SAS et liberté contractuelle : variations autour de la majorité


19 novembre 2024



  • Ass. plén., 15 novembre 2024, n° 23-16.670

 

Depuis qu’elle a été instituée, la société par actions simplifiée ne cesse d’interroger les limites de l’ordre public en matière de droit des sociétés. Quand la considérable liberté contractuelle qui la caractérise doit-elle céder devant les impératifs fondamentaux de la matière ? Dans le silence du législateur, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu de le déterminer. D’où l’existence de « grands arrêts » venant modeler la réglementation applicable à cette forme sociale, désormais la plus choisie par les entrepreneurs français. Ce fut notamment le cas de la décision de la chambre commerciale du 23 octobre 2007 (n° 06-16.537) qui a privé d’effet une clause supprimant le droit de vote d’un associé de SAS ou encore la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2022 (n° 2022-1029 QPC) qui a validé le mécanisme des clauses d’exclusion (art. L. 227-16 C. com.). Il faudra désormais ajouter à cette liste la décision d’assemblée plénière du 15 novembre 2024. La question était de principe comme le laissait supposer la diffusion en direct de l’audience qui s’est tenue le 11 octobre dernier et, ainsi que le confirme, le communiqué de presse et la large publication de la décision (B+R).

Au cœur du litige se trouvait une clause figurant dans les statuts d’une SAS. Puisque l’article L. 227-9 alinéa 1 dispose que « Les statuts déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient. », les associés avaient fait usage de cette liberté pour instituer un système pour le moins original d’adoption des décisions. Il était ainsi prévu que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Cela revenait donc à fixer une majorité qui, en réalité, était… une minorité puisqu’une décision pouvait être adoptée dès que le seuil d’un tiers des droits de vote était dépassé.

C’est une décision d’augmentation du capital qui est venue mettre en lumière les limites d’un tel dispositif. Souvent délicate car bousculant l’équilibre des pouvoirs au sein d’une société, cette décision fut, en l’espèce, considérée comme adoptée puisque votée par un tiers des associés. Pourtant, la majorité des actionnaires avait voté contre (229 313 voix « pour » la résolution et 269 185 voix « contre ») ! Dans ce contexte, deux associés intentèrent une action en annulation de la délibération litigieuse. La question juridique posée – est-ce que dans une SAS, les statuts peuvent prévoir qu’une augmentation de capital soit adoptée sans atteindre la majorité des voix ? – fut controversée puisque la réunion de l’assemblée plénière fait suite à une résistance des juges du fond suite à un renvoi après cassation.

L’assemblée plénière affirme, en premier lieu, qu’« Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix ». En effet, « Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires ». Elle en déduit dès lors qu’une décision « collective » ne peut être adoptée « que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite ».

Il en résulte une nouvelle limite à la liberté contractuelle des associés en SAS. Pour les décisions devant être prises collectivement par les associés, soit parce qu’elles sont listées à l’article L. 227-9 alinéa 2 du Code de commerce, soit parce qu’elles sont désignées comme telles par les statuts, la majorité, au sens traditionnel et mathématique du terme, est requise. A contrario, il faut aussi déduire de cet arrêt que, pour toutes les autres décisions, une majorité peut devenir une minorité dès lors que les associés le décident par voie statutaire !





LES AVOCATS ALTA-JURIS