Suivi pénal : réflexions, à partir de la condamnation du meurtrier de Chambon-sur-Lignon, en faveur d’une coordination plus efficace autour de la peine
L’homme n’est pas un être isolé, atomisé. Il fait partie d’un environnement avec lequel se crée une dynamique de nature systémique. Cette dynamique, sans remettre en cause sa responsabilité (car à tout moment il lui appartient de faire ses choix), peut cependant l’orienter et le conduire à l’échec ou au contraire lui permettre d’évoluer, de se socialiser, ou encore de s’amender. C’est malheureusement l’aspect mortifère de cette dynamique qui a conduit au meurtre d’Agnès Marin, âgée de 13 ans, dans des conditions effroyables (violences sexuelles accompagnées de 17 coups de couteau). Comme le relève l’Avocate générale[1], c’est un véritable « tapis roulant » qu’on a mis sous les pieds de son assassin, alors âgé de 17 ans et qui avait déjà commis un viol (qui plus est avec préméditation). Qu’on en juge à partir des éléments suivants :
– Une expertise psychiatrique qui a exclu toute dangerosité de l’adolescent après le premier viol (pourtant commis avec préméditation, ce qui est très rare dans les viols commis par les adolescents et aurait pu alerter sur un fonctionnement psychique pervers)
– Une décision de remise en liberté décidée à la va-vite : c’est le père de Mathieu qui va proposer au juge de l’inscrire dans un établissement scolaire au Cévenol. Comme l’explique l’Avocate générale, « cette inscription n’a pas été évaluée. Ni la juge, ni le parquet n’ont exercé le minimum de contrôle sur cet établissement, alors que celui-ci est un campus mixte et sans murs, qu’il a une réputation de laxisme et de défaut de surveillance ». La remise en liberté de Mathieu a été décidée sur la base de ce certificat de scolarité et après une simple conversation téléphonique avec l’expert psychiatrique (sans même attendre de recevoir son rapport). Pour l’Avocate générale, « l’inscription de Mathieu M. au Cévenol est une insulte au bon sens ! ».
– Une direction d’établissement qui n’a posé aucune question même lorsque le père de Mathieu a indiqué que son fils avait commis des faits d’agression sexuelle et qui n’a émis aucune alerte lorsque l’adolescent a été surpris en train d’essayer de télécharger un film à caractère pédopornographique sur un ordinateur de l’établissement
– Un suivi totalement insuffisant de l’adolescent : le suivi psychiatrique ordonné par le juge d’instruction était minimaliste, les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont effectué peu de visites au Cévenol, et enfin, pour couronner le tout, les soignants ont été choisis en dépit du bon sens : une psychiatre lituanienne s’exprimant avec difficultés en français ; un soi-disant psychothérapeute dépourvu de tout diplôme…
Bien sûr, la mise en cause de la responsabilité de l’Etat est envisagée. Mais cela ne réparera jamais la souffrance endurée tant par la famille de la victime que par celle de l’auteur[2]. Finalement, le seul qui en sortira indemne, c’est peut-être, justement, l’Etat, dont l’abstraction le fait échapper à la souffrance des hommes.
Mais ne serait-il pas temps de le remettre en question, de faire sortir la peine du giron de l’Etat pour l’insérer dans le tissu social et la mettre en place à partir et autour du condamné. Comme l’explique Antoine Garapon à propos de la récente loi Taubira, la peine « dépend de la collaboration de nombreux acteurs, dont la plupart ne sont pas des acteurs publics : associations, voisins, community. Il faudra donc stimuler, organiser, financer le tissu social autour de la peine, qui dans notre pays relève encore exclusivement du régalien. Or cela n’est plus possible ; nous n’en avons plus les moyens »[3]. Cela pourrait conduire à envisager, peut-être à l’aune de la région, une coordination de l’ensemble des participants à la peine, au sein de laquelle les avocats, auxiliaires de justice par excellence, pourraient être fondés à jouer un rôle essentiel.
[2] Voir le très touchant témoignage des parents du condamné, http://abonnes.lemonde.fr/m-le-mag/article/2014/11/14/affaire-du-chambon-sur-lignon-les-parents-du-meurtrier-hantes-par-agnes_4522818_4500055.html
[3] http://libertes.blog.lemonde.fr/2014/06/18/reforme-penale-la-lumineuse-lecon-dantoine-garapon/
Annabel QUIN
Maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud
Ancienne avocate au Barreau de Paris
Mise en ligne : 17/12/2014