Le 25 novembre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision d’un grand intérêt tant sur le fond que sur la forme. Sa large diffusion (P+B+I) ainsi que les nombreux documents ayant accompagné sa publication (communiqué de presse, note explicative et avis de l’avocat général) le confirment.
Sur le fond, cette décision retiendra au premier chef l’attention des pénalistes et des praticiens en droit des affaires. La Cour de cassation reconnaît pour la première fois qu’une société en ayant absorbé une autre puisse être pénalement condamnée pour des infractions commises par l’absorbée avant l’opération. Elle admet ainsi que la responsabilité pénale puisse être transmise à l’occasion d’une fusion et que l’absorbante soit condamnée à une peine d’amende ou de confiscation.
Sans détour la chambre criminelle admet qu’il s’agit d’un revirement de jurisprudence (pt 38). Jusqu’alors, cette même chambre refusait de façon constante qu’une société absorbante puisse être condamnée pour des faits qui avaient été commis par l’absorbée. Ce rejet se justifiait principalement par le principe de personnalité des peines prévu par l’article 121-1 du Code pénal et selon lequel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». Appliqué à la personne physique, ce principe emporte extinction de l’action publique du fait du décès de la personne poursuivie (art. 6 CPP). Appliqué à la personne morale absorbée et donc dissoute (art. L. 236-3 C. com.), ce principe signifiait également l’arrêt des poursuites. Pensée à travers le prisme de la personne physique, la mise en œuvre de ce principe cardinal de la responsabilité pénale cadrait mal avec la spécificité des personnes morales puisque le propre d’une fusion est de permettre la transmission universelle du patrimoine de l’absorbée à l’absorbante. Le risque est alors de voir échapper à sa responsabilité pénale une société dont l’activité continue par ailleurs. La chambre criminelle revient donc sur sa solution et confirme ainsi la spécificité de la responsabilité pénale des personnes morales. Elle justifie ce revirement par la mise en conformité du droit français avec le droit européen. Depuis 2015, la CJUE a en effet affirmé que la directive du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes devait s’interpréter comme permettant le transfert de la responsabilité pénale de l’absorbée à l’absorbante. En 2019, une décision de la Cour européenne des droits de l’homme valide également ce transfert. S’alignant sur la jurisprudence européenne, la Cour de cassation admet logiquement le transfert de responsabilité pénale mais seulement pour les sociétés entrant dans le champ de la directive précitée.
Notable sur le fond, cette décision ne l’est pas moins sur la forme. Tout d’abord, la Cour de cassation use de la technique de la motivation enrichie. Un net effort de pédagogie facilitant la compréhension de la décision peut être constaté Admettant ensuite qu’il s’agit d’un revirement de jurisprudence, la Cour décide de moduler ses effets dans le temps. « Si nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée » (voir encore récemment, Civ 1ère, 12 novembre 2020, n°19-16964), les effets d’un revirement de jurisprudence peuvent néanmoins être reportés afin de ne pas heurter le principe de sécurité juridique. Par conséquent, la Cour de cassation décide que la règle jurisprudentielle consacrée ne pourra être appliquée qu’aux fusions postérieures à la décision. Une exception est toutefois réservée : celle de la fraude. Les fusions frauduleuses, c’est-à-dire celles dont la finalité est de faire échapper l’absorbée à sa responsabilité pénale, pourront donner lieu à une condamnation de l’absorbante. Cette application immédiate se justifie par l’absence de nouveauté d’une telle solution. Son application est donc insusceptible d’heurter la sécurité juridique.