- AP, 16 décembre 2022, n° 21-23.719 et 21-23.685
Les pouvoirs d’investigation dont dispose l’Autorité des marchés financiers constituent l’une des pièces maîtresses d’une politique efficace de lutte contre les abus de marché et notamment contre sa forme la plus connue : le manquement d’initiés (ou dans son volet pénal le délit d’initiés). Cette considération a notamment justifié que des pouvoirs conséquents soient octroyés aux agents de cette autorité administrative. Il en va ainsi du pouvoir de se faire communiquer tout document (et notamment, sous contrôle judiciaire, les données de connexion), de la possibilité de convoquer et d’auditionner toute personne ou encore du pouvoir de réaliser, après autorisation judiciaire, des visites domiciliaires afin notamment de procéder à des saisies dans les lieux visités. Pour autant, la quête d’un marché intègre et transparent doit nécessairement être conciliée avec les droits fondamentaux. Les justiciables ont d’ailleurs de plus en plus tendance à se prévaloir de ces droits à l’occasion de contentieux afin de contester les normes qui leur sont opposées et afin de les soumettre à l’épreuve du contrôle de constitutionnalité et/ou de conventionnalité.
C’est dans ce contexte et au nom du droit au respect à la vie privée que les pouvoirs de l’AMF ont, sous l’effet de plusieurs décisions, connu un certain recul ces dernières années. Ce fut notamment le cas du fait de deux arrêts remarqués rendus le 14 février 2020 (Cass. com., 14 février 2020, n°18-15.840 et n°18-17.174). Dans ces décisions, la chambre commerciale avait réduit les pouvoirs des enquêteurs de l’AMF an adoptant une lecture restrictive de la disposition les autorisant à procéder à des saisies dans le cadre de visites domiciliaires (art. L. 621-12 CMF). Sur le fondement de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la chambre commerciale avait considéré que la possibilité pour les enquêteurs d’effectuer, après autorisation du JLD et sur demande motivée du secrétaire général de l’AMF, des visites en tous lieux ainsi qu’à procéder à la saisie de documents et supports d’information ne concernaient pas les personnes de passage dans ce lieu mais seulement ses occupants (« soit la personne qui occupe, à quelque titre que ce soit, les locaux dans lesquels la visite est autorisée »). Les documents appartenant ou à la disposition des visiteurs occasionnels avaient donc été placés hors de portée de l’AMF.
Par une décision d’Assemblée plénière du 16 décembre 2022, la Cour de cassation fait machine arrière. La résistance de la cour d’appel de renvoi dans la même affaire que celle ayant donné lieu aux décisions du 14 février 2020 a donné l’occasion à l’Assemblée plénière de se réunir et de revenir sur la solution adoptée deux ans auparavant. La Cour de cassation affirme en effet le contraire de ce qui avait été retenu par la chambre commerciale. Désormais, dans le cadre d’une visite domiciliaire autorisée par un juge, tous les documents et supports d’information peuvent être saisis sans qu’il soit nécessaire qu’ils « appartiennent ou soient à la disposition de l’occupant des lieux ». Comme le précise la Cour de cassation dans son communiqué de presse, deux conditions sont toutefois requises pour qu’il puisse être procédé à la saisie : les documents et supports doivent, d’une part, se trouver dans les lieux visés par l’ordonnance du JLD et, d’autre part, entretenir un lien avec l’enquête ouverte par l’AMF. Dans ce contexte et au regard des garanties offertes par l’article L. 621-12 du CMF, l’atteinte incontestable portée à la vie privée dans le cadre d’une visite domiciliaire n’est jugée ni illégitime, ni excessive eu égard à des objectifs qui sont réaffirmés dans la décision : « la protection de l’investisseur, la régulation et la transparence des marchés financiers ».